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1947 : L’année de tous les dangers

Analyse de Bernard PEYROUS, historien et prêtre

dans Les Evénements de L’Ile-Bouchard, Editions de l’Emmanuel, 1997

1.- Le contexte international

Les événements survenus en France en 1947 s’insèrent dans un cadre plus large : cette année-là a été dominée, tout le monde en convient, par la radicalisation de la situation internationale et le début de la vraie guerre froide. On a maintenant la preuve que du 22 au 27 septembre 1947, se tint en Pologne, une réunion secrète des représentants de neuf partis communistes européens : soviétique, bulgare, hongrois, polonais, roumain, tchécoslovaque, yougoslave, et en plus français et italien. Il s’agissait d’une reprise en main, par les Russes, de ces partis communistes, dans l’optique d’une lutte plus accusée contre le capitalisme. Ils étaient donc appelés à rentrer dans l’ordre et à engager la lutte.

2.- La situation française

L’année 1947 a été l’une des années les plus dures de l’histoire contemporaine de la France. Certains historiens l’ont appelée « l’année terrible »; on pourrait dire aussi : »l’année de tous les dangers ». La France se trouvait alors dans une situation très difficile à plusieurs points de vue.

Les premiers problèmes découlaient de l’état économique et social du pays. La guerre venait de se terminer, et elle avait laissé un pays partiellement détruit et ruiné. La reconstruction n’avait pas vraiment commencé, ou du moins on n’en voyait pas les effets. Le déficit de la balance commerciale doublait de 1945 à 1947. On ne voyait vraiment pas comment le pays pourrait repartir. Tout paraissait coincé de partout. Dans cette ambiance critique, le moral de la nation flanchait. Les trafics étaient considérables et le marché noir plus florissant que jamais. Les hommes politiques devaient non seulement tenter de résoudre les difficultés internes, mais aussi externes (en Algérie, en Indochine, à Madagascar, au Maroc).

Par ailleurs, devant la nouvelle politique russe, le parti communiste amorça un virage décisif. Durant les premiers mois de 1947, les parlementaires communistes s’opposent ouvertement à la politique du gouvernement dans beaucoup de domaines. Le 2 octobre, au vélodrome d’hiver, Maurice Thorez, secrétaire général du P.C.F., déclara que le moment était venu « d’imposer un gouvernement démocratique où la classe ouvrière et son parti exercent enfin un rôle dirigeant ». Les grèves se déclenchèrent de tous les côtés. On arriva rapidement à trois millions de grévistes. Les voies ferrées furent bloquées. La situation économique et sociale se détériora encore. Mais ce qui fut plus important encore, ce fut la violence du conflit. On peut citer quelques exemples : des centraux téléphoniques furent attaqués à Montmartre et Marcadet à Paris, ainsi qu’à Béziers ; le 29 octobre, une véritable bataille rangée opposa les forces de l’ordre aux militants communistes dans les rues de Paris ; le déraillement provoqué de l’express Paris-Tourcoing, le 3 décembre, causa 21 morts. Durant cette période, il n’y eut pas moins de 106 condamnations pénales pour sabotage.

L’état d’esprit était au conflit décisif. Les esprits étaient très montés jusque dans les sphères dirigeantes.

3.- Le revirement de décembre 1947

En quelques heures, tout va basculer dans le sens de l’apaisement et de la paix civile. Le général Maurice Catoire écrit dans son journal : « A 20 heures (ce mardi 9 décembre 1947), la radio nous annonce la capitulation du Comité National de Grève et l’ordre donné à tous, dans la France entière, de reprendre le travail normal. ». Benoît Frachon, secrétaire général de la C.G.T., avait eu assez d’influence pour convaincre ses camarades d’arrêter brusquement le conflit.

Que se serait-il passé s’il n’y avait pas eu cette décision ? Il est difficile de le savoir. Le gouvernement serait passé à l’offensive sur un certain nombre de fronts, car il ne pouvait plus faire autrement. Il y aurait eu forcément des affrontements armés. Jusqu’où auraient-ils été ? Y aurait-il eu une véritable guerre civile ? Cela est assez probable. Jules Moch lui-même, le ministre de l’Intérieur, estimait que son plan d’action était « désespéré ». On était donc dans une perspective de conflit armé.

Extraits du 1er chapitre du livre Les Evénements de L’Ile-Bouchard de Bernard PEYROUS aux Editions de l’Emmanuel, 1997. Avec la permission de l’auteur.

CHAPITRE I : LE CONTEXTE DES APPARITIONS

1.- Le contexte international

L’année 1947 a été dominée, tout le monde en convient, par la radicalisation de la situation internationale et le début de la vraie guerre froide. Les événements survenus en France s’insèrent dans ce cadre. […] Qu’est-ce qui se préparait ?

[…] En fait, l’Union Soviétique et ses dirigeants se sont sans doute crus investis d’un messianisme qui les poussait à croire qu’ils allaient, en relativement peu de temps, répandre le communisme dans le monde entier, mettant ainsi en application les enseignements de Lénine. Ce n’était plus pour eux qu’une question d’années, à condition d’y mettre le prix, sans regarder nullement aux conséquences humaines d’une telle entreprise. On sait du reste que, en interne, aucune considération de cet ordre n’était intervenue quand il s’était agi d’imposer le marxisme en Russie ou ailleurs. Les récentes découvertes d’archives semblent bien montrer que Staline espérait un jour attaquer les Nazis dans le dos, puis pousser ses armées jusqu’en Europe occidentale.

[…] L’Union Soviétique terminait la guerre épuisée et elle avait besoin d’un temps pour se refaire et digérer ses nouvelles conquêtes. Mais elle pouvait nourrir l’espoir de mettre assez vite la main sur une Europe divisée et affaiblie. En effet, à Yalta, Roosevelt avait affirmé à Staline la nécessité pour les États-Unis de ramener rapidement outre-Atlantique leurs forces armées une fois la guerre finie : l’opinion publique américaine ne pouvait accepter leur présence durable au-dehors. Les États-Unis acceptèrent aussi que l’Union Soviétique s’agrandisse, au lendemain de la guerre, de territoires pris à l’Allemagne, à la Pologne, à la Roumanie, etc.., sans parler des Pays Baltes, le tout formant un ensemble plus étendu que la France. Aucune consultation des populations n’eut lieu. Au procès de Nuremberg, aucune allusion ne fut faite au pacte germano-soviétique et au dépeçage de la Pologne. Tout semblait oublié. […] Tout cela était comme un encouragement pour l’U.R.S.S.

Staline pouvait ainsi calculer que, au bout de quelques années, l’Europe n’étant plus défendue militairement par les Américains, tomberait dans ses mains comme un fruit mûr. […]

De fait, les Alliés commencèrent, une fois l’Allemagne vaincue, un désarmement rapide et le retrait de leurs troupes vers leurs pays d’origine. Les grands programmes d’armement furent interrompus pour la plupart. A l’inverse, l’Union Soviétique ne désarma pas au même rythme. Sa production militaire demeura à un niveau élevé. Elle se lança dans la recherche de nouvelles armes, recherche qui aboutit très rapidement. Nous avons maintenat beaucoup d’informations sur ces points. Dès 1943, les Russes avaient entrepris des recherches sur l’arme atomique. Elles n’avaient pas abouti. Grâce aux savants allemands récupérés et à un excellent espionnage, l’Union Soviétique était dotée de sa première bombe en 1949. Dans le même temps et grâce aux mêmes procédés, on commençait la fabrication de fusées, fabrication qui allait s’accentuer dans les décennies suivantes. L’arme aérienne était complètement renouvelée. Quand en Corée les pilotes américains se trouveront en face des MIG 15, ils se heurteront à une flotte aérienne supérieure, sans aucune comparaison possible, en matériel et aussi en entraînement, à celle de la fin de la guerre. Ajoutons que les services de renseignement russes, qui n’avaient pas très bien réussis, pendant la guerre, avec les Nazis, avaient par contre remarquablement infiltrés les États-Unis, l’Angleterre, et sans doute la France. De ce côté les archives nous apportent sans cesse des informations nouvelles. Les Russes lisaient à livre ouvert leurs adversaires, alors que l’inverse n’était pas vrai. Mais il est vrai aussi que le système mental des chefs soviétiques aboutissait souvent à lire ces informations à contresens.

[…] Churchill ne s’était pas trompé sur ce qui se passait en réalité. Le 5 mars 1946, il prononçait à l’Université de Fulton, dans le Missouri, un discours dans lequel il disait : « De Stettin, dans la Baltique, à Trieste, dans l’Adriatique, un rideau de fer est descendu à travers le continent. » Dean Acheson, principal conseiller de Truman, disait au Président des États-Unis le 27 février 1947 : « Si les Russes font un pas de plus, nous ne pourrons plus les arrêter… Après la Turquie, ce sera la Grèce, l’Italie… Quant à la France, les Russes n’ont qu’à secouer la branche à l’heure qu’il leur plaira pour récolter le fruit. Avec quatre communistes au gouvernement, dont un à la Défense nationale, avec des communistes à la tête des administrations…, la France est mûre pour tomber sous la coupe de Moscou. » De Gaulle parlera de son côté, à Rennes, le 27 juillet, d’un  » bloc de près de 400 millions d’hommes dont la frontière n’est séparée de la nôtre que par 500 km… « 

[…] Au début de 1947, le gouvernement américain suspendit la démobilisation et amorça un réarmement. On craignait tant une guerre que le gouvernement anglais lui-même, pourtant très conscient des limites de ses forces, décida, le 21 mai 1947, le rétablissement du service militaire obligatoire. […] La prise de conscience de la menace soviétique sur ces deux pays [la Grèce et la Turquie] constitua un élément essentiel de la nouvelle évaluation de la menace de la part des Américains. En outre, Truman, d’abord très hostile à tout ce qui était activités de renseignement, se rendit compte peu à peu de l’avance soviétique en ce domaine, et constitua en 1946 le CIG (Central Intelligence Group), ancêtre de la CIA.

Dans ce contexte intervint un événement décisif. Devant la situation économique catastrophique de l’Europe, le Secrétaire d’État Marshall, prononça à l’Université de Harvard, le 5 juin 1947, un discours proposant un plan de reconstruction économique de l’Europe, plan qui devait prendre son nom. En effet, si on laissait la situation économique se dégrader, on risquait d’aller droit à des troubles majeurs. Le plan était proposé aussi aux Pays de l’Est. C’était une dernière chance d’éviter le conflit bipolaire et la scission en deux blocs. Staline hésita à l’accepter. Mais y souscrire revenait à admettre un certain contrôle des Etats-Unis à l’intérieur des pays de l’Europe de l’Est. Cela rendrait la mainmise russe plus délicate. Il le refusa donc.

Dès lors, on entrait dans une phase de radicalisation. Le gouvernement russe décidait de couper tout lien avec l’ouest, et allait s’engager dans une nouvelle étape du réarmement. […] la priorité devait être donnée à l’industrie lourde et à l’orientation vers une économie liée à la guerre. Il y eut là une orientation décisive. La mainmise sur les pays d’Europe centrale s’accentua. Celle-ci se traduisit par la prise en mains à peu près totale des communistes sur la Roumanie, puis sur la Bulgarie, puis sur la Hongrie, puis sur la Pologne, en attendant la Tchécoslovaquie l’année suivante.

C’est dans ce contexte que se tint, du 22 au 27 septembre 1947, dans la petite station touristique polonaise de Szlarska Poreba, une réunion secrète des représentants de neuf partis communistes européens : soviétique, bulgare, hongrois, polonais, roumain, tchécoslovaque, yougoslave, et en plus français et italien. Nous sommes maintenant renseignés sur ce qui s’y passa. Il s’agissait d’une reprise en main, par les Russes, de ces partis communistes, dans l’optique d’une lutte plus accusée contre le capitalisme. […] Le monde (dit Jdanov, troisième secrétaire du PCUS) était maintenant divisé en deux camps absolument antagonistes. Plus aucune alliance n’était possible avec les autres partis politiques de gauche. Il fallait combattre à fond le nouvel ennemi : l’impérialisme américain. Ce discours fut suivi d’une violente diatribe contre les partis politiques français et italien qui, en s’alliant avec d’autres partis de gauche, avaient cédé au « crétinisme parlementaire » et « oublié » de prendre le pouvoir en 1944-1945. Ils étaient donc appelés à rentrer dans l’ordre et à engager la lutte. […] On passait ouvertement à une situation de conflit.

2.-  La situation française

L’année 1947 a été l’une des années les plus dures de l’histoire contemporaine de la France. Certains historiens l’ont appelée « l’année terrible »; on pourrait dire aussi : »l’année de tous les dangers ». La France se trouvait alors dans une situation très difficile à plusieurs points de vue.

Les premiers problèmes découlaient de l’état économique et social du pays. La guerre venait de se terminer, et elle avait laissé un pays partiellement détruit et ruiné. La reconstruction n’avait pas vraiment commencé, ou du moins on n’en voyait pas les effets. Les communications demeuraient très aléatoires, le manque d’argent était criant, et la production était réduite. En outre, l’hiver très dur de 1946-1947 nécessita d’une part de grandes quantités de charbon, et, d’autre part, détruisit par le gel une partie importante des récoltes. En un an, les prix de détail doublèrent. Pour pouvoir continuer à fonctionner, les entreprises publiques augmentèrent leurs tarifs dans des proportions considérables. […] La production s’effondra. […] La crise toucha l’alimentation elle-même. Comme durant la guerre, les cartes de rationnement existaient encore, mais elles ne permettaient d’obtenir que des quantités encore inférieures. […] On ne trouvait plus de céréales en France. […] Les boulangeries furent fermées d’autorité trois jours par semaine. […] On était à la merci d’une catastrophe. Le pays ne vivait plus qu’en achetant des céréales et du charbon aux États-Unis, utilisant pour cela ses dernières réserves monétaires. Le déficit de la balance commerciale doublait de 1945 à 1947. Le stock d’or était presque épuisé : il passa de 1600 tonnes en 1944 à 400 en décembre 1947. On ne voyait vraiment pas comment le pays pourrait repartir. Tout paraissait coincé de partout. Le sous-secrétaire d’État américain au Trésor, William Clayton, envoyé par le Président Truman se rendre compte de la situation en Europe, reviendra effrayé aux États-Unis. La France, l’Angleterre, l’Italie, sont au bord de l’effondrement. […]

Dans cette ambiance critique, le moral de la nation flanchait. On en a de multiples preuves. D’abord, les trafics étaient considérables et le marché noir plus florissant que jamais. […] Vincent Auriol écrivait le lundi 15 septembre 1947: « Ramadier vient me voir et il reconnaît que la diminution de la ration de pain est grave et risque de provoquer des conflits même sanglants… Le scepticisme s’est transformé en profond découragement et même en pessimisme noir… manque de confiance de la population… Tout le monde est mécontent. »

La situation politique intérieure ne facilitait pas les choses. […] Le 16 janvier 1947 le socialiste Vincent Auriol avait été élu Président de la République. Le système politique reposait, au début de 1947, sur le partage du pouvoir entre trois partis : la SFIO socialiste, le MRP chrétien et le Parti Communiste, qui participait au gouvernement.

Les hommes politiques devaient non seulement tenter de résoudre les difficultés internes, mais aussi externes (en Algérie, en Indochine, à Madagascar, au Maroc). […]

Devant la nouvelle politique russe, le parti communiste amorça un virage décisif. Les parlementaires communistes venaient de voter les crédits militaires. Or, le 18 mars 1947, le propre Ministre de la Défense Nationale, le communiste François Billoux, refusa de rendre hommage aux combattants d’Indochine, et resta assis à son banc de ministre. Il s’ensuivit à la Chambre les remous que l’on devine. Le même jour, Jacques Duclos annonçait que le PCF rejetait la politique indochinoise de Paul Ramadier. Aussitôt, les grèves commencèrent. Le 25 avril, les ouvriers de Renault se mettaient en grève contre le blocage des salaires. Le 1er mai, Maurice Thorez se désolidarisait de la politique salariale du gouvernement, auquel il participait cependant.

La fin de l’année fut terrible. L’expulsion des communistes du gouvernement par Ramadier, le 5 mai 1947, officialisa le conflit. Le 2 octobre, au vélodrome d’hiver, Maurice Thorez déclara que le moment était venu « d’imposer un gouvernement démocratique où la classe ouvrière et son parti exercent enfin un rôle dirigeant ». Les grèves se déclenchèrent de tous les côtés. On arriva rapidement à trois millions de grévistes. […] Les voies ferrées furent bloquées. La situation économique et sociale se détériora encore. Mais ce qui fut plus important encore, ce fut la violence du conflit. Des centraux téléphoniques furent attaqués à Montmartre et Marcadet à Paris, ainsi qu’à Béziers. Le 29 octobre, une véritable bataille rangée opposa les forces de l’ordre aux militants communistes dans les rues de Paris. Le 12 novembre, la CGT lança une opération sur la mairie de Marseille dont le maire gaulliste, Me Carlini, injurié dans les termes « d’Hitler, fumier, saloperie », faillit être défenestré, et ne dut son salut qu’à sa démission et à son départ en ambulance. Quelques jours après, le bassin minier du Nord et du Pays de Calais entrait à son tour en grève. Le directeur adjoint des Houillères, Léon Delfosse, communiste, prenait la tête du mouvement, et assomma même un non gréviste à coup de marteau. Puis l’ensemble des bassins miniers, la métallurgie, les arsenaux, interrompaient le travail. En quinze jours, 97 sabotages furent commis. Le déraillement provoqué de l’express Paris-Tourcoing, le 3 décembre, causa 21 morts. Durant cette période, il n’y eut pas moins de 106 condamnations pénales pour sabotage. […]

L’état d’esprit était au conflit décisif. Le maire communiste d’une ville ouvrière du Gard témoigne : « Les grèves de 1947 ont été terribles. C’était une lutte armée… Les mineurs avaient gardé l’esprit maquisard… Nos gars rêvaient toujours à la libération ; ils croyaient que la révolution allait venir. Pour nous, les responsables du Parti, c’était très difficile de contenir nos camarades. Ils étaient prêts à tout foutre en l’air… Les socialistes étaient au ministère. C’était une vraie guerre entre les socialistes et nous. » Tous les ouvriers ne suivaient pas. « On en arrivait, dit un historien, à une sorte de guerre civile à l’intérieur de la classe ouvrière ».

Les esprits étaient très montés jusque dans les sphères dirigeantes. A la Chambre, les députés communistes lançaient une offensive verbale extrêmement violente contre la SFIO et le MRP. Jacques Duclos […] affirmait que Robert Schuman (résistant au nazisme) était un « ancien officier allemand, un boche ». […] De son côté, Léon Blum déclarait :  » Le danger est double, le communisme international a ouvertement déclaré la guerre à la démocratie française. » […] Claude Mauriac écrit de son côté : « Nous sommes à la veille d’une totale interruption de la vie du pays, par suite des grèves, à la veille aussi de la chute définitive du franc ; peut-être d’une insurrection communiste. Nous connaissons une angoisse proche de celle des pires jours de l’occupation ». Beaucoup d’hommes politiques cessent de dormir chez eux. […] Le Cardinal Suhard, archevêque de Paris, écrivait le 25 novembre : « L’ampleur des grèves met en cause la vie même de la nation.  » Un vent de folie, de violence et de peur souffle sur le pays. Tous les jours, la situation s’aggrave et se tend. Les esprits favorables à l’apaisement sont rares. […]

Dans cette tourmente, la France eut la chance de pouvoir compter sur des esprits sérieux et décidés. Ce fut le cas du Président du Conseil Robert Schuman (1886-1963), qui resta au pouvoir de novembre 1947 à juillet 1948. Cet homme doux et pacifique avait aussi une forte conviction intérieure, et il avait décidé de ne pas céder. Dans une autre optique philosophique, son collègue socialiste Jules Moch (1893-1985) fut Ministre de l’Intérieur de 1947 à 1950, et il décida lui aussi de résister. On s’achemina donc vers une véritable politique de défense. Mais elle comportait des risques d’effusion de sang de tous les côtés. […] La mobilisation de 80 000 réservistes fut organisée. […] On fut obligé de dissoudre onze compagnies de C.R.S. considérées comme peu sûres. […]

3.- Quelques réflexions

En quelques heures, tout va basculer dans le sens de l’apaisement et de la paix civile. Maurice Catoire écrit : « A 20 heures (ce mardi 9 décembre 1947), la radio nous annonce la capitulation du Comité National de Grève et l’ordre donné à tous, dans la France entière, de reprendre le travail normal. » […] Benoît Frachon, secrétaire général de la C.G.T., avait eu assez d’influence pour convaincre ses camarades d’arrêter brusquement le conflit.

Que se serait-il passé s’il n’y avait pas eu cette décision ? Il est difficile de le savoir. Le gouvernement serait passé à l’offensive sur un certain nombre de fronts, car il ne pouvait plus faire autrement. Il y aurait eu forcément des affrontements armés. Jusqu’où auraient-ils été ? Y aurait-il eu une véritable guerre civile ? Cela est assez probable. Jules Moch lui-même estimait que son plan d’action était « désespéré ». Il ne pensait donc pas la partie gagnée à l’avance. […] On était donc dans une perspective de conflit armé. Cette guerre civile ne se serait-elle pas étendue à l’Italie où le PCI était dans une situation similaire et contrôlait des régions entières, comme les Marches ?

Une seconde chose peut être dite. Elle concerne un personnage que nous n’avons pas encore fait intervenir dans le débat. Il s’agit de Dieu. Dieu agit en général dans le monde de deux manières. D’abord, il soutient et inspire les hommes de bonne volonté. Dans le cas qui nous occupe, nous rangerions dans cette catégorie Jules Moch, et même Benoît Frachon, lorsqu’il poussera à l’arrêt de la grève. Puis Dieu agit à travers des hommes qui le reconnaissent comme leur Seigneur, lui donnent leur vie, acceptent d’être ses témoins et ses agents dans le monde. Il y en a aussi chez les hommes politiques et chez les hauts responsables. [particulièrement Robert Schuman et Edmond Michelet] […] Le 28 novembre, le général Leclerc a disparu tragiquement dans un accident d’avion. Toute sa vie, la maréchale Leclerc considérera qu’il a donné sa vie pour la France et qu’il avait vraiment vécu une expérience de sainteté. Ses obsèques nationales ont lieu le 8 décembre à Paris, et émeuvent profondément toute la nation.

[…] Cachée dans sa ferme du hameau des Mouilles, à Chateauneuf-de-Galaure, une mystique dont la cause de béatification est […] introduite, Marthe Robin prie pour son pays. Le 8 décembre 1947 au matin, son confesseur, le Père Georges Finet, monte chez elle et lui dit :
– Marthe, la France est foutue (sic). Nous allons avoir la guerre civile.
– Non mon Père, répond Marthe. La Vierge Marie va sauver la France à la prière des petits enfants.

En début d’après-midi, en Touraine, commencent les événements de L’Ile-Bouchard.