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6 - Les secrets de Fatima

Ainsi parla Lucie :

« La première [partie] fut la vision de l'enfer. Notre Dame nous montra une grande mer de feu, qui paraissait se trouver sous la terre et, plongés dans ce feu, les démons et les âmes, comme s'ils étaient des braises transparentes, noires ou bronzées, avec une forme humaine. Ils flottaient dans cet incendie, soulevés par les flammes, qui sortaient d'eux-mêmes, avec des nuages de fumée. Ils retombaient de tous côtés, comme les étincelles retombent dans les grands incendies, sans poids ni équilibre, avec des cris et des gémissements de douleur et de désespoir qui horrifiaient et faisaient trembler de frayeur. Les démons se distinguaient par leurs formes horribles et dégoûtantes d'animaux épouvantables et inconnus, mais transparents et noirs. Cette vision dura un moment, grâce à notre bonne Mère du Ciel qui auparavant nous avait prévenus, nous promettant de nous emmener au Ciel (à la première apparition). Autrement, je crois que nous serions morts d'épouvante et de peur.

Ensuite [deuxième partie] 

Nous levâmes les yeux vers Notre Dame, qui nous dit avec bonté et tristesse : "Vous avez vu l'enfer où vont les âmes des pauvres pécheurs. Pour les sauver, Dieu veut établir dans le monde la dévotion à mon Cœur immaculé. Si l'on fait ce que je vais vous dire, beaucoup d'âmes seront sauvées et on aura la paix. La guerre va finir. Mais si l'on ne cesse d'offenser Dieu, sous le pontificat de Pie XI commencera une autre guerre pire encore. Lorsque vous verrez une nuit illuminée par une lumière inconnue, sachez que c'est le grand signe que Dieu vous donne, qu'Il va punir le monde de ses crimes par le moyen de la guerre, de la faim et des persécutions contre l'Eglise et le Saint-Père. Pour empêcher cette guerre, je viendrai demander la consécration de la Russie à mon Coeur immaculé et la communion réparatrice des premiers samedis. Si on accepte mes demandes, la Russie se convertira et on aura la paix ; sinon elle répandra ses erreurs à travers le monde, provoquant des guerres et des persécutions contre l'Eglise. Les bons seront martyrisés, le Saint-Père aura beaucoup à souffrir, diverses nations seront détruites.

À la fin, mon Coeur immaculé triomphera. Le Saint-Père me consacrera la Russie, qui se convertira et il sera concédé au monde un certain temps de paix. »

Troisième partie du secret
La troisième partie du secret révélé le 13 juillet 1917  à Fatima.

J'écris en obéissance à Vous, mon Dieu, qui me le commandez par l'intermédiaire de son S. Exc. Rév. Monseigneur l'évêque de Leiria et de votre très Sainte Mère, qui est aussi la mienne.

Après les deux parties que j'ai déjà exposées, nous avons vu sur le côté gauche de Notre Dame, un peu plus en hauteur, un Ange avec une épée de feu dans la main gauche; elle scintillait et émettait des flammes qui, semblait-il, devaient incendier le monde; mais elles s'éteignaient au contact de la splendeur qui émanait de la main droite de Notre Dame en direction de lui; l'Ange, indiquant la terre avec sa main droite, dit d'une voix forte: “Pénitence ! Pénitence ! Pénitence ! “Et nous vîmes dans une lumière immense qui est Dieu: "Quelque chose de semblable à ce que voient les personnes quand elles passent devant un mirroir", un évêque vêtu de blanc, "nous avons eu le pressentiment que c'était le Saint-Père". Divers autres évêques, prêtres, religieux et religieuses monter sur une montagne escarpée, au sommet de laquelle il y avait une grande croix en troncs bruts, comme s'ils étaient en chêne-liège avec leur écorce; avant d'y arriver, le Saint-Père traversa une grande ville à moitié en ruine et, à moitié tremblant, d'un pas vacillant, affligé de souffrance et de peine, il priait pour les âmes des cadavres qu'il trouvait sur son chemin ; parvenu au sommet de la montagne, prosterné à genoux, au pied de la grande croix, il fut tué par un groupe de soldats qui tirèrent plusieurs coups avec une arme à feu et des flèches; et de la même manière moururent les uns après les autres les évêques, les prêtres, les religieux et religieuses et divers laïcs, hommes et femmes de classes et de catégories sociales différentes. Sous les deux bras de la croix, il y avait deux anges, chacun avec un arrosoir de cristal à la main, dans lequel ils recueillaient le sang des martyrs et avec lequel ils irriguaient les âmes qui s'approchaient de Dieu.

Commentaire Théologique

Celui qui lit avec attention le texte de ce qu'on appelle le troisième «secret» de Fatima qui, après un long temps, par une disposition du Saint-Père, est publié dans son intégralité, sera probablement déçu ou étonné après toutes les spéculations qui ont été faites. Aucun grand mystère n'est révélé ; le voile de l'avenir n'est pas déchiré. Nous voyons l'Eglise des martyrs du siècle qui s'achève représentée à travers une scène achevé dans un langage symbolique difficile à déchiffrer. Est-ce cela que la Mère du Seigneur voulait communiquer à la chrétienté, à l'humanité, dans une période de grands problèmes et de grandes angoisses? Cela nous est-il utile au début du nouveau millénaire? Ou bien s'agit-il seulement de projections du monde intérieur d'enfants qui ont grandi dans une ambiance de profonde piété, mais qui étaient en même temps bouleversés par la tourmente qui menaçait leur époque? 

Une tentative d'interprétation du « secret » de Fatima

La première et la deuxième partie du « secret » de Fatima ont déjà été discutées amplement dans la littérature qui le concerne et il n'est pas utile de les illustrer ici une nouvelle fois. Je voudrais seulement attirer brièvement l'attention sur le point le plus significatif. Pendant un instant terrible, les enfants ont fait l'expérience d'une vision de l'enfer. Ils ont vu la chute des « âmes des pauvres pécheurs. » Et maintenant, il leur est dit pourquoi ils ont été exposés à cet instant : « pour les sauver [les âmes] » pour montrer un chemin de salut. Il vient à l'esprit la phrase de la première lettre de Pierre : « ... Sûrs d'obtenir l'objet de votre foi: le salut des âmes » (1, 9). Comme chemin vers ce but, est indiquée de manière surprenante pour des personnes provenant de l'ère culturelle anglo-saxonne et allemande la dévotion au Coeur immaculé de Marie. Le « Cœur immaculé » est (selon Mt 5, 8) un coeur qui, à partir de Dieu, est parvenu à une parfaite unité intérieure et donc « voit Dieu. » De qui pourrions-nous en tout temps apprendre d'une manière meilleure, sinon de la Mère du Seigneur ?

Ainsi, nous arrivons finalement à la troisième partie du « secret » de Fatima, Soeur Lucie a tout d'abord observé qu'elle avait reçu la vision, mais pas son interprétation. L'interprétation, disait-elle, ne revient pas au voyant, mais à l'Eglise. Toutefois, après la lecture du texte, elle a dit que cette interprétation correspondait à ce dont elle avait fait l'expérience et que, pour sa part, elle reconnaissait cette interprétation comme correcte. 

Comme parole clé de la première et de la deuxième partie du « secret », nous avons découvert celle qui dit « sauver les âmes »; de même, la parole clé de ce « secret » est un triple cri : « Pénitence, Pénitence, Pénitence ! » Il nous revient à l'esprit le début de l'Évangile : « Repentez-vous et croyez à l'Évangile » (Mc 1, 15). Comprendre les signes des temps signifie comprendre l'urgence de la pénitence - de la conversion - de la foi. Telle est la réponse juste au moment historique, marqué par de graves dangers qui seront exprimés par les images ultérieures. Je me permets de rappeler ici un souvenir personnel ; dans un entretien avec moi, Sœur Lucie m'a affirmé qu'il lui apparaissait toujours plus clairement que le but de toutes les apparitions a été de faire grandir toujours plus dans la foi, dans l'espérance et dans la charité - tout le reste entendait seulement porter à cela.

Examinons maintenant d'un peu plus près les différentes images. L'ange avec l'épée de feu à la gauche de la Mère de Dieu rappelle des images analogues de l'Apocalypse. Il représente la menace du jugement, qui plane sur le monde. La perspective que le monde pourrait être englouti dans une mer de flammes n'apparaît absolument plus aujourd'hui comme une pure fantaisie: l'homme lui-même a préparé l'épée de feu avec ses inventions. La vision montre ensuite la force qui s'oppose au pouvoir de destruction la splendeur de la Mère de Dieu et, provenant d'une certaine manière de cette splendeur, l'appel à la pénitence. De cette manière est soulignée l'importance de la liberté de l'homme : l'avenir n'est absolument pas déterminé de manière immuable et l'image que les enfants ont vue n'est nullement un film d'anticipation de l'avenir, auquel rien ne pourrait être changé. 

Toute cette vision se produit en réalité seulement pour faire apparaître la liberté et pour l'orienter dans une direction positive. Le sens de la vision n'est donc pas de montrer un film sur l'avenir irrémédiablement figé. Son sens est exactement opposé, à savoir mobiliser les forces pour tout changer en bien.  Aussi sont-elles totalement fourvoyées les explications fatalistes du « secret » qui affirme par exemple que l'auteur de l'attentat du 13 mai 1981 aurait été, en définitive, un instrument du plan divin, guidé par la Providence et qu'il n'aurait donc pas pu agir librement, ou encore d'autres idées semblables qui circulent. La vision parle plutôt de dangers et de la voie pour en être sauvegardé.

Les phrases qui suivent dans le texte montrent encore une fois très clairement le caractère symbolique de la vision : Dieu reste l'incommensurable et la lumière qui dépasse toute notre vision. Les personnes humaines apparaissent comme dans un miroir. Nous devons garder continuellement présente cette limitation interne de la vision, dont les limites sont ici visuellement indiquées. L'avenir se dévoile seulement « comme dans un miroir, de manière confuse » (cf. 1 Co 13, 12). Prenons maintenant en considération les diverses images qui suivent dans le texte du « secret .» Le lieu de l'action est décrit par trois symboles : une montagne escarpée, une grande ville à moitié en ruine et finalement une grande croix en troncs grossiers. La montagne et la ville symbolisent le lieu de l'histoire humaine: l'histoire comme une montée pénible vers les hauteurs, l'histoire comme lieu de la créativité et de la convivialité humaines, mais en même temps comme lieu de destruction, par lesquelles l'homme anéantit l'œuvre de son propre travail. La ville peut être lieu de communion et de progrès, mais aussi lieu des dangers et des menaces les plus extrêmes. Sur la montagne se trouve la croix - terme et point de référence de l'histoire. Par la croix, la destruction est transformée en salut; elle se dresse comme signe de la misère de l'histoire et comme promesse pour elle.

Ici, apparaissent ensuite deux personnes humaines : l'évêque vêtu de blanc (« nous avons eu le pressentiment que c'était le Saint-Père »), d'autres évêques, des prêtres, des religieux et religieuses et enfin des hommes et des femmes de toutes classes et toutes catégories sociales. Le pape semble précéder les autres, tremblant et souffrant à cause de toutes les horreurs qui l'entourent. Non seulement les maisons de la ville sont à moitié écroulées, mais son chemin passe au milieu de cadavres. La marche de l'Eglise est ainsi décrite comme un chemin de croix, comme un chemin dans un temps de violence, de destruction et de persécution. On peut trouver représentée dans ces images l'histoire d'un siècle entier. De même que les lieux de la terre sont synthétiquement représentés par les deux images de la montagne et de la ville et sont orientés vers la croix, de même aussi les temps sont présentés de manière condensée : dans la vision, nous pouvons reconnaître le siècle écoulé comme le siècle des martyrs, comme le siècle des souffrances et des persécutions de l'Eglise, comme le siècle des guerres mondiales et de beaucoup de guerres locales, qui en ont rempli toute la seconde moitié et qui ont fait faire l'expérience de nouvelles formes de cruauté. Dans le « miroir » de cette vision, nous voyons passer les témoins de la foi de décennies. À ce sujet, il semble opportun de mentionner une phrase de la lettre que Soeur Lucie a écrite au Saint-Père le 12 mai 1982 : « La troisième partie du "secret" se réfère aux paroles de Notre Dame : "Sinon [la Russie] répandra ses erreurs à travers le monde, favorisant guerres et persécutions envers l'Eglise. Les bons seront martyrisés, le Saint-Père aura beaucoup à souffrir, diverses nations seront détruites." »

Dans le chemin de croix de ce siècle, la figure du pape a un rôle spécial. Dans sa pénible montée de la montagne, nous pouvons sans aucun doute trouver rassemblés différents papes qui, depuis Pie X jusqu'au pape actuel, ont partagé les souffrances de ce siècle et se sont efforcés d'avancer au milieu d'elles sur la voie qui mène à la croix. Dans la vision, le pape aussi est tué sur la voie des martyrs. Lorsque, après l'attentat du 13 mai 1981, le pape se fit apporter le texte de la troisième partie du « secret », ne devait-il pas y reconnaître son propre destin? Il a été très proche des portes de la mort et il a lui-même expliqué de la manière suivante comment il a été sauvé : « C'est une main maternelle qui guida la trajectoire de la balle et le pape agonisant s'est arrêté au seuil de la mort » (13 mai 1994). Qu'ici une « main maternelle » ait dévié la balle mortelle montre seulement encore une fois qu'il n'existe pas de destin immuable, que la foi et la prière sont des puissances qui peuvent influer sur l'histoire et que, en définitive, la prière est plus forte que les projectiles, la foi plus puissante que les divisions.

La conclusion du «secret» rappelle des images que Sœur Lucie peut avoir vues dans des livres de piété et dont le contenu provient d'anciennes intuitions de foi. C'est une vision consolante, qui veut qu'une histoire de sang et de larmes soit perméable à la puissance de guérison de Dieu. Des An-ges recueillent sous les bras de la croix le sang des martyrs et irriguent ainsi les âmes qui s'approchent de Dieu. Le Sang du Christ et le sang des martyrs doivent être considérés en-semble : le sang des martyrs jaillit des bras de la croix. Leur martyre s'accomplit en solidarité avec la Passion du Christ, il devient un tout avec elle. Ils complètent pour le Corps du Christ ce qui manque encore à ses souffrances (cf. Col 1, 24). Leur vie est devenue elle-même eucharistie, incorporée dans le mystère du grain de blé qui meurt et qui devient fé-cond. Le sang des martyrs est semence de chrétiens, a dit Tertullien. De même que de la mort du Christ, de son côté ouvert, est née l'Eglise, de même la mort des témoins est féconde pour la vie future de l'Eglise.

 La vision de la troisième partie du « secret », tellement angoissante à ses débuts, s'achève donc sur une image d'espérance : aucune souffrance n'est vaine et précisément une Eglise souffrante, une Eglise des martyrs, devient un signe indicateur pour l'homme à la recherche de Dieu. Dans les mains amoureuses de Dieu sont accueillies non seulement les personnes qui souffrent comme Lazare, qui a trouvé une grande consolation et qui mystérieusement représente le Christ, Lui qui a voulu devenir pour nous le pauvre Lazare; mais il y a plus encore: des souffrances des témoins provient une force de purification et de renouveau, parce qu'elle est une actualisation de la souffrance même du Christ et qu'elle transmet aujourd'hui son efficacité salvatrice.

Nous sommes ainsi arrivés à une ultime interrogation : que signifie dans son ensemble (dans ses trois parties) le « secret » de Fatima ? Que nous dit-il à nous ? Avant tout, nous devons affirmer avec le cardinal Sodano : « Les situations aux quelles fait référence la troisième partie du "secret" de Fatima semblent désormais appartenir au passé. » Dans la mesure où des événements particuliers sont représentés, ils appartiennent désormais au passé. Ceux qui attendaient des révélations apocalyptiques excitantes sur la fin du monde et sur le cours futur de l'histoire seront déçus. Fatima n'offre pas de telles satisfactions à notre curiosité, comme du reste en général la foi chrétienne ne veut pas et ne peut pas être une pâture pour notre curiosité. Ce qui reste, nous l'avons vu dès le début de notre réflexion sur le texte du « secret » : l'exhortation à la prière comme chemin pour le « salut des âmes » et, dans le même sens, l'appel à la pénitence et à la conversion.

Je voudrais enfin reprendre encore une autre parole clé du « secret » devenue célèbre à juste titre : « Mon Cœur immaculé triomphera. » Qu'est-ce que cela signifie ? Le cœur ouvert à Dieu, purifié par la contemplation de Dieu, est plus fort que les fusils et que les armes de toute sorte. Le Fiat de Marie, la parole de son Cœur a changé l'histoire du monde, parce qu'elle a introduit le Sauveur dans le monde car, grâce à son « oui », Dieu pouvait devenir homme dans notre monde et désormais demeurer ainsi pour toujours. Le Malin a du pouvoir sur ce monde, nous le voyons et nous en faisons continuellement l'expérience; il a du pouvoir parce que notre liberté se laisse continuellement détourner de Dieu. Mais, depuis que Dieu lui-même a un cœur d'homme et a de ce fait tourné la liberté de l'homme vers le bien, vers Dieu, la liberté pour le mal n'a plus le dernier mot. Depuis lors, s'imposent les paroles : « Dans le monde, vous trouverez la détresse, mais ayez confiance; moi je suis vainqueur du monde » (Jn 16, 33). Le message de Fatima nous invite à nous fier à cette promesse. 

Cardinal Joseph Ratzinger
Préfet de la Congrégation
pour la doctrine de la foi, le 13 mai 2000