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Bienheureux Père Popielusko


Né à Okopy, petit village du nord-est de la Pologne dans une famille modeste de paysans, il est enfant de chœur dans son village. Élève moyen mais ambitieux, c’est à la période du baccalauréat qu’il envisage la prêtrise. Il entre à 18 ans au séminaire à Varsovie. Il fit deux ans de service militaire, placé dans une unité spéciale pour les séminaristes à Bartoszyce. On exerça sur lui au moins une fois des pressions pour qu’il abjure sa foi chrétienne. Il fut jeté au cachot pendant un mois. 

Il est ordonné prêtre en 1972, à Varsovie par le cardinal Wyszynski. En plus de sa paroisse, il s’occupait des jeunes et du personnel de la santé. En octobre 1978, Karol Wojtyła, archevêque de Cracovie (deuxième ville de Pologne et proche de la Tchécoslovaquie), est élu pape et prend le nom de Jean-Paul II. En 1980, les employés des chantiers navals de Gdańsk, importante ville portuaire sur la Baltique, sont en grève sous la conduite de Lech Wałęsa. Les ouvriers demandèrent à l’archevêque de Varsovie un prêtre pour célébrer la messe pour eux ; et c’est le Père Popiełuszko qui est choisi. Le syndicat Solidarnosc est fondé dans l’illégalité. Ami de Lech Wałęsa, le prêtre défend les partisans du syndicat. Le père Popiełuszko est alors inspiré de la spiritualité du bienheureux Maximilien Kolbe.

Du Père Daniel Ange

Quelques mois après l’attentat de Jean-Paul II, l’état de guerre est proclamé par le régime communiste. 6000 responsable du syndicat Solidarnosc, de nuit, sont emprisonnés, l’armée est partout déployée massivement, les manifestations sont violemment réprimées. Ce premier et unique syndicat dans tout l’empire est intolérable pour le régime. A la face du monde, il prouve que le christianisme est le calcium d’un peuple, et le marxisme son opium. C’est le sous-prolétariat qui se soulève contre ces apparatchiks qui se prétendent être sa voix. Après avoir tenté quelques mois plus tôt d’éliminer son premier défenseur, son avocat à la face du monde, ce Jean-Paul II qui ose le soutenir inconditionnellement - il faut l’éradiquer totalement, sous peine d’être contagieux pour tous les pays du bloc Est, qui se met à trembler sur ses bases. C’est alors qu’une voix va retentir. Elle va oser, clamer ce que tous pensent, mais non sans risques.

Jerzy se fait la voix de son peuple bâillonné. Il le fait au cours des 33 messes pour la Nation qu’il va célébrer, renouant avec la tradition séculaire des « messes pour la Patrie », le plus souvent clandestines.

De mois en mois, les foules augmentent à tel point qu’il faudra les célébrer sur un balcon surmontant le porche d’entrée de l’église Saint Stanislas Kotska, dominant la place noire de monde. Leur retentissement est incalculable. Surtout elles parviennent immédiatement aux oreilles de l’habitant n° 1 du Vatican. 


Dès février 82
, où il choisit les textes à faire frémir certains ( Sg 6,1-9 ; Ps 58,2-8), il cite les évêques : « L’ Eglise se place toujours du côté de ceux qui sont privés de liberté, de ceux dont on brise les consciences. Notre douleur est celle de la Nation toute entière terrorisée par la force militaire… de tous ceux, internés, arrêtés, condamnés.. » En avril 82, de citer un poète : « Plus fort que les pierres qui pleuvent sur nous, plus fort que la main arbitraire et parjure qui s’abat sur nous, crier que notre cœur brisé dans notre poitrine ni ne se pliera, ni ne se changera. La mort est périssable, la foi… éternelle ! » 

Mai 84 : « La vérité est toujours liée à l’amour et l’amour est exigeant, l’amour véritable requiert des sacrifices, aussi la vérité, elle aussi, doit-elle coûter. La vérité qui ne coûte rien est un mensonge. Vivre dans la vérité, c’est être en accord avec sa conscience. La vérité unit et relie les gens. La grandeur de la vérité effraie et démasque les mensonges des médiocres et des peureux. La lutte ininterrompue pour la vérité dure depuis des siècles. La vérité est pourtant immortelle, et le mensonge périt d’une mort rapide. Ecoutons le Cardinal Wyszynski : il suffit de peu de gens parlant en vérité. Christ en a choisi un petit nombre pour proclamer sa vérité. Seuls les mots mensongers doivent être nombreux car le mot mensonge est détaillé et se monnaie : il se débite comme la marchandise sur les rayons, il doit être constamment renouvelé, il doit avoir de multiples serviteurs, qui selon un programme, l’apprendront pour aujourd’hui, pour demain, pour un mois. Pour maîtriser la technique du mensonge ainsi programmé, il faut des hommes en quantité. Il suffit de quelques uns pour proclamer la vérité. Il suffit d’un petit groupe de gens qui luttent pour la vérité pour rayonner. 
La condition essentielle de la libération de l’homme, pour lui permettre de vivre en vérité, est d’acquérir la vertu du courage. La lutte pour la vérité est le symbole du courage chrétien. La vertu de courage est une victoire sur la faiblesse humaine, victoire sur la peur et la crainte. Car la seule chose dont il convient d’avoir peur dans la vie est la trahison du Christ pour quelques deniers de calme éphémère. Ce n’est pas facile aujourd’hui, lorsque d’office durant les dernières décennies, sur le sol natal on a semé les graines du mensonge et de l’athéisme, on a semé les graines du laïcisme. On les a semées dans un pays, qui depuis plus de mille ans est solidement ancré dans le christianisme. On ne peut tromper la vie, tout comme on ne peut tromper la terre. » 
« Malheur à la société dont les citoyens ne sont pas guidés par le courage ! Ils cessent alors d’être des citoyens, pour devenir de simples esclaves. Si le citoyen renonce à la vertu du courage, il devient esclave et se cause le plus grand des torts, à lui-même, à sa personne, mais aussi à sa famille, à son groupe professionnel, à la Nation, à l’Etat et à l’Eglise, même si la peur et la crainte lui font facilement obtenir du pain et des avantages… » Et de clore : « Prenons conscience que la Nation dépérit lorsqu’elle manque de courage, lorsqu’elle se ment à elle-même en disant que tout va bien, quand tout va mal, lorsqu’elle se contente de demi-vérités. Soyons conscients qu’en exigeant la vérité nous devons nous-mêmes vivre en vérité ; que cette conscience nous accompagne chaque jour. En exigeant la justice, soyons justes envers nos proches. En exigeant le courage, soyons chaque jour courageux. » 
Le père Popiełuszko est surveillé en permanence. La presse communiste parle de lui comme d’un prêtre qui célèbre des messes de la haine. Il refuse une proposition de son évêque d’aller étudier à Rome, pour l’éloigner du danger. « Je me suis consacré, je ne me retirerai pas, » dit-il. 

De janvier à avril 1984, le prêtre est convoqué 13 fois par la milice. Il est accusé d’abus de sacerdoce. En mars 1984, le Pape lui envoie un cadeau pour le féliciter d’avoir osé critiquer une décision du gouvernement polonais d’interdire les crucifix dans les écoles. La police politique organise le 13 octobre 1984 un accident de voiture pour le tuer mais il y échappe. Le 19 octobre, il célèbre sa toute dernière messe. 

Son ultime parole ? « Prions pour que nous soyons libres de toute peur, de l’effroi et surtout du désir de vengeance et de violence. » Sur la route de Torun, la voiture du Père Jerzy est arrêtée par des fonctionnaires en uniformes de la milice. En réalité, c’était des agents de la SB ( services de sécurité de l’Etat). Le chauffeur de la voiture est obligé de remettre les clefs de l’auto aux deux hommes et de monter dans leur véhicule. On lui met les menottes. Les deux fonctionnaires l’assomment violemment et le déposent dans le coffre de leur voiture et se sauvent. Le chauffeur du Père Jerzy réussit à sauter du véhicule, se sauve, et se met à la recherche de secours. Au bout de quelques kilomètres, le véhicule s’arrête. Le prêtre est à nouveau frappé. « Ensuite, on lui a attaché les pieds avec un sac de pierres, on lui a passé un nœud coulant autour du cou. Une des extrémités de la corde entravait les jambes repliées de la victime et à chaque mouvement, le nœud coulant étouffait le père Popieluszko ». A ce moment le père est encore en vie. Les assassins décident de le noyer. Le 20 octobre, on annonce au journal télévisé du soir, l’enlèvement du Père Jerzy. Une foule s’est rassemblée à l’église Saint Stanislas Kostka pour prier. Le soir même une messe est célébrée à son intention. Jour et nuit les fidèles prient dans l’église, jusqu’au moment dramatique où la vérité éclate. Le 30 octobre : on annonce que le corps du père Popieluszko est retrouvé dans la Vistule. Sa dépouille mortelle est transportée à l’église saint Stanislas Kotska, le soir du 2 novembre. 

En novembre 1984, plus de 500 000 personnes se déplacent pour les funérailles de Jerzy Popiełuszko. Inhumé au cœur même de sa paroisse, sa modeste tombe est constamment couverte de fleurs et est devenue lieu de nombreux pèlerinages : plus de 18 millions de personnes l’ont déjà visitée. Le pape Jean-Paul II lui-même était venu s’y recueillir en 1987. Le martyre du jeune prêtre aura entraîné de nombreuses conversions, et l’éclosion de nombreuses vocations sacerdotales. En 1989 et 1990, les régimes pro-soviétiques d’Europe de l’est s’effondrent et laissent place à des régimes démocratiques. Lech Walesa est élu président de la république Polonaise en 1990.