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L’apparition

Mars 1657 : huit années ont passé.
Ce matin-là, Pierre laboure son champ, au sud du hameau. Le dit hameau s’est déjà pourvu d’une chapelle… et de quelques estaminets !

Citons le récit tel qu’il est donné par le Père Delarue O.M.I. (Père Delarue O.M.I., Notre-Dame de l’Osier. Les origines du pèlerinage d’après les manuscrits et imprimés du temps de 1649 à 1686, éd. M. Lescuyer et fils, Lyon, 1966-1980, pp. 23 et sq.) :

« Il labourait, là-haut, sans penser à rien, quand, d’un coup, sur le « monticule de l’Epinousa », il voit apparaître une « demoiselle » (« Mademoiselle » : c’est ainsi que l’on s’adressait autrefois à toute femme qui n’avait pas le « titre » de marquise, comtesse, etc.) vêtue de blanc et de bleu, avec « sur sa tête un crêpe noir abattu ». D’abord il pense que, « depuis Bergerandière », elle s’est écartée du chemin de l’osier… et perdue dans les bois de l’Epinousa. Elle est arrivée juste à l’opposé de l’endroit où lui se tenait. Et, dès qu’elle l’a vu, paraît vouloir venir droit vers lui, au travers de la combe qui les sépare.

Il en rit, à part soi, comme font d’ordinaire les huguenots de la piété des catholiques ! (Les huguenots ! c’est l’appellation de l’époque, et la visiteuse céleste va l’utiliser ; en soi, le terme ne comporte rien de péjoratif ; d’après l’étymologie, le mot vient de l’allemand : Eidgenossen, ceux que lie le même serment, ceux qui font partie d’une collectivité régie par le même serment.) La réaction de Port-Combet est croquée sur le vif et bien naturelle : en bon calviniste, il sourit de voir une catholique se donner tant de peine pour aller voir son osier et lui, qui la croit égarée, s’amuse de voir cette citadine piquer droit sans tenir compte des difficultés du terrain… Elle l’apprendra à ses dépens ; qu’elle se tire d’affaire toute seule ! Il lui tourne le dos et reprend son travail. La rée (le sillon) n’est pas longue ; il en a vite atteint le bout. Mais surprise ! Dès qu’il a tourné ses bœufs pour revenir sur ses pas, « la demoiselle à laquelle il rêvait », tout en labourant, se trouve devant lui ; dans le lieu où aujourd’hui a été édifiée la petite chapelle dédiée à l’honneur de la Sainte Vierge et baptisée par la voix du peuple « Notre-Dame-de-Bon-Rencontre »

C’est Jeanne Pélion (l’épouse de Pierre Port-Combet) qui donne cette dernière précision, à la date où elle fait sa déclaration, en 1686 – Stupéfait, déjà, de la rapidité avec laquelle l’inconnue s’est déplacée, Pierre Port-Combet est, plus encore bouleversé de noter « en elle une beauté… si éclatante et un port si majestueux qu’il ne sait qu’en penser ».« Elle ne s’est donc pas égarée, comme il le croyait, et n’a besoin de personne pour trouver son chemin ; nul de nos sentiers terrestres n’est trop abrupt pour elle… Il en reste bouche bée.

C’est elle qui rompt le silence et le salue, la première : « A Dieu sois-tu, mon ami ! » Puis, sans paraître aucunement décontenancée par le désarroi du pauvre homme, avec une aisance souveraine, l’inconnue enchaîne : « Que dit-on de cette dévotion ? Y vient-il beaucoup de monde ? » – C’est bien ce qu’il pensait d’abord : elle vient pour l’osier ; de très loin sûrement… – « Sans s’observer » à tout hasard, il répond : “Bonjour, Mademoiselle ; il y vient assez de monde, par-delà. »

– « S’y fait-il beaucoup de miracles ? » – « Oh, des miracles ! » riposte-t-il d’un ton méfiant, bourru… Ayant maintenant repris ses sens, il flaire un danger : mieux vaut couper court à cette sorte d’entretien, il pique ses bœufs ; car, il le pressent que c’est à lui qu’elle en a ! Mais, avec une autorité souveraine, elle le dissuade de s’en aller : « Arrête, arrête tes bœufs ! (Et) cet huguenot ( Preuve savoureuse de ce que la Vierge, lorsqu’elle se manifeste, utilise le langage du temps et du lieu.) qui a coupé l’osier, où demeure-t-il ? Ne se veut-il pas convertir ? »

– Si ce qu’il redoutait n’était qu’une nouvelle interview après tant d’autres, le voilà détrompé ! La visiteuse n’est pas en quête de précisions inédites ; c’est beaucoup plus grave ! Trois jours après le miracle de l’osier, il avouait : « Et je ne sais ce que cela veut dire » ; voici la réponse. Ce prodige n’avait qu’un but : l’amener à « se reconnaître », à se convertir…

Il réfléchit, vite : puisque, pour le moment une force irrésistible le rive ici, mieux vaut biaiser : « Je ne sais pas » dit-il, il demeure bien par-delà… » Mais il s’est trompé s’il a vraiment cru donner le change à son interlocutrice ; elle dit seulement : « Ah, misérable ! » (« misérable », au sens originel du terme, signifie (cf. Littré) : 1 qui est dans la misère ou dans le malheur), comme nous dirions : que tu es donc à plaindre de recourir à des subterfuges aussi enfantins ! Tu t’imagines « que je ne sache pas que… cet huguenot, c’est toi ?

– On l’aura remarqué : contrairement à sa femme, la Demoiselle lui dit : « tu »… – Plus forte que jamais, l’envie de fuir le reprend ; derechef, elle lui commande d’arrêter ses bœufs. Il s’entête, et les aiguillonne ; mais elle, « tout vite », l’avertit : « Si tu n’arrêtes tes bœufs, je les arrêterai bien ! » … Subjugué, il répond : « Oh, je les arrêterai bien moi-même, Mademoiselle. »

Il va falloir qu’il l’écoute, jusqu’au bout… « Elle lui dit que le temps de sa fin s’approche, que S’IL NE CHANGE DE SON ETAT, IL SERA L’UN DES PLUS GRANDS TISONS D’ENFER QUI FUT JAMAIS et que, s’il en change, elle le protégera, devant Dieu ; qu’il dise au public que leurs prières ne sont pas assez ferventes, mais que, s’ils les font plus ferventes, ils recevront beaucoup plus de grâces et de faveurs de Dieu ». C’est tout… »