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Le visage du vivant

Mon âme a soif du Dieu vivant. Quand le verrai-je face à face ?

Il existe une image authentique de Dieu que le Vatican a longtemps eue en sa possession. Il y a quatre cents ans, elle a disparu de Rome. Mais elle existe toujours bel et bien. Elle se trouve au fin fond des Abruzzes, sur une colline derrière la petite ville de Manopello. Le vieux mot latin « manipulus signifie une « poignée d’épis ». Cette insignifiante bourgade des Abruzzes italiennes est devenue quelque chose comme un nouveau Bethléem : localité des montagnes de Judée où, il y a quelque deux mille ans, le Pain de Vie est venu dans le monde.

Les Capucins conservent ce visage de Dieu dans une église. Cette représentation de Dieu se manifeste sur un voile d’une texture encore plus fine que le plus fin des nylons, mais ni en soie ni en lin. L’étoffe porte une image du Christ semblable à nulle autre, ou plus exactement : à laquelle ressemblent quasiment toutes les images du Christ sur terre, et plus parfaitement qu’un fils ne ressemblera jamais à sa mère. Le Christ y a des yeux inoubliables, le nez fin, la bouche entrouverte. Les dégradés sont plus subtils encore que ceux que rendait Léonard de Vinci. Sous plus d’un rapport, l’image évoque une photographie, mais dans l’iris de l’œil droit, la pupille est légèrement excentrée vers le haut, ce qu’aucune photo ne peut rendre. De la même manière, il est impossible que cette image soit un hologramme, bien qu’elle y ressemble lorsque le voile est faiblement éclairé par-derrière. Car un hologramme vieux de quatre cents ans, dans les Abruzzes, c’est encore plus absurde que du nylon !

Quatre plis très distincts traversent ce petit voile, comme si autrefois il avait été plié une fois dans la longueur et deux fois dans la largeur. Le portrait ne s’irise pas à la manière d’un arc-en-ciel. Mais les couleurs du Volto Santo, de la « Sainte Face », varient dans des nuances de brun, rouge et rose, entre terre d’ombre, terre de Sienne, argent, cuivre, bronze et or. Il semble peint avec de la lumière ( en grec : photos) ; au microscope, aucune trace de couleur n’a été détectée. Mais à contre-jour, il devient transparent comme du verre, et les plis s’évanouissent eux aussi.

C’est une image en une multiplicité d’autres. L’image sous nos yeux change, elle s’illumine, elle pâlit. A chaque mouvement de tête, elle ne cesse de prendre des aspects nouveaux. Elle change d’apparence, elle peut avoir un aspect surnaturel, vraiment. Le voile a une beauté immatérielle avec les couleurs et le dessin d’ailes de papillons. Des effets de couleurs naissent sur les ailes de papillons même en l’absence de pigments de couleur, uniquement par diffraction de la lumière et superposition d’ondes lumineuses.

Ce sont là des phénomènes que l’on observe uniquement en présence de

soie de mer ou byssus, le tissu le plus précieux de l’Antiquité, confectionné

A partir de filaments sécrétés par un coquillage. Le byssus, l'or des mers, est plus doux que du cachemire, plus fin que des cheveux d’anges

Voilà encore qui fait sensation. Car il paraît que les plus anciens fragments identifiables de cette étoffe d’une rareté exceptionnelle datent du IVème siècle. A vrai dire, ils sont bien plus petits et dans un piètre état de conservation. De toute manière, il n’existe nulle part de tissu en soie de mer portant une image ou un dessin : il est techniquement impossible de peindre la soie de mer. Avec la meilleure volonté du monde, on ne peut peindre une chose pareille, cela ne marche pas, tout simplement. Certes, il est possible de peindre simultanément des deux côtés, les Byzantins le faisaient déjà sur de la soie. Mais peindre une image qui « disparaît » pour ainsi dire ? Non ! Aucune technique ne le permet. On peut teindre le byssus, mais seulement avec de la pourpre, pour obtenir différentes nuances de rouge ou de vert. Les dépôts de sel si typiques de ce tissu empêchent de peindre cette matière.

Le byssus est un tissu en fibres d’une sorte de substance de nacre. Ce qui explique les effets irisés, translucides ou holographiques du voile ? Un tissu légendaire, fantastique, de « l’or filé ». Il n’existait pas de tissu plus précieux dans l’Antiquité. C’est le vêtement des noces de l’Eglise. C’est un tissu sacré que portaient les prêtres. Le byssus a une transparence et un éclat doré merveilleux. Il est fin comme « de la toile d’araignée » Les fibres sont le fruit d’une « sécrétion riche en albumine produite par une glande à byssus, au pied du pédoncule des coquillages. Ces fibres qui ont une couleur typique de brun doré brillant, laissent passer la lumière vive en s’irisant d’une manière tout à fait singulière. il prend des teintes bronze et quand on l’éclaire, il prend des couleurs dorées

N’importe quel profane est capable de reconnaître à l’œil nu la différence évidente qui existe entre le voile de Manopello et la soie normale. En effet, en haut à droite et à gauche, les deux coins du tissu manquent, car, Dieu sait quand, on les a remplacés par des pièces de soie extrêmement fine. La différence est criante ; c’est le jour et la nuit. A contre-jour, ces pièces semblent grises, tandis que tout le reste du voile est transparent, comme seule peut l’être la soie de mer.

Jour après jour et de plus en plus, la science se rend auprès de lui. L’image réunit donc les propriétés de la photographie, de l’hologramme, de la peinture, du dessin, le tout assorti de mystérieuses impossibilités et incohérences. La véritable nature de cette « Sainte Face » reste un mystère complet, et nous n’avons pas de nom pour la désigner.

Tentatives d’explications de l’origine de ce voile

Une seule chose est certaine : depuis des siècles, elle est l’objet de la plus haute vénération.

- Cette « Sainte Face » se rapproche et pourrait être le « Voile de Véronique ». Ce « Voile de Véronique » préservé depuis le IVème siècle dans l’ancienne basilique Saint Pierre de Constantin, devait être placé dans un des piliers qui supporte la coupole de la nouvelle Basilique Majeure de Saint Pierre au Vatican. Au XVIIème siècle, il y disparut, au moment de la construction de la nouvelle basilique.

La légende de sainte Véronique : vera eikon, c’est à dire la « véritable image » du Christ, a été greffée sur cette image au Moyen Age. Cette légende était une manière de résoudre l’énigme incompréhensible de la nature, de la genèse et de la provenance de ce tissu

Pour Sainte Brigitte de Suède, il ne faisait aucun doute que la « Véronique » relevait du miracle, car elle restituait de façon extraordinaire le visage du Christ.

- Les traces de ce voile avant son arrivée à Rome sont surprenantes : il est question d’un mystérieux et très ancien portrait du Christ à Edesse. Il y aurait longtemps survécu à toutes les tempêtes, muré dans l’une des portes de la ville. L’image originale semble par la suite avoir migré à Constantinople. La mosaïque du Christ sous la coupole de Sainte-Sophie garde encore aujourd’hui une ressemblance extraordinaire avec la Sainte Face de Manopello. Au début du VIè siècle, il est à plusieurs reprises fait mention, en Orient, d’une très délicate représentation de Jésus « marquée de quatre plis » et appelée « image d’Abgar » ou Mandylion. C’est à dire un mystérieux portrait que Jésus lui-même aurait fait parvenir au roi Abgar d’Edesse. Bien plus qu’à n’importe quelle peinture, la Sainte Face des Abruzzes correspond en tout point à ce que les sources les plus anciennes nous disent sur cette image légendaire de la plus haute antiquité : l’image d’Abgar. Le nom le plus ancien de l’image est le mot grec acheiropoietos : « non fait de main d’homme ».

La légende raconte : « Le roi Abgar, envoie un homme auprès de Jésus, à Jérusalem, pour lui demander de venir à Edesse, une ville située sur l’Euphrate, pour le guérir, le messager se nomme Ananie. Ananie arrive à Jérusalem. Il essaie de peindre un portrait de Jésus. Mais il n’y arrive pas. En guise de réponse à porter au roi Abgar. Jésus lui a répondu : « Je ne pourrai venir que lorsque j’aurai tout accompli ici. Mais je vais t’envoyer un de mes apôtres avec mon portrait pour te guérir » Jésus se lave et s’essuie le visage et les mains avec un linge. Jésus confia ce linge avec lequel il s’est essuyé à Jude Thaddée, Celui-ci est guéri instantanément rien qu’en voyant l’image que Jésus a laissée de son visage sur le linge ».

- Une variante du récit de ce voile : après l’Ascension, Jude Thaddée se rendit auprès d’Abgar avec l’image de Jésus imprimée sur un linge qui lui aurait été confié par l’apôtre Thomas. Ce dernier aurait reçu ce linge du Seigneur en personne après qu’il s’en fut essuyé le visage ruisselant de la sueur d’angoisse de son agonie. Thomas disait que Jésus le lui avait donné après être redescendu de la montagne où il était allé prier.

Jude Thaddée était de la parenté de Jésus, ce qui peut expliquer qu’après la mort de Marie, le concile des apôtres, lui ait attribué ce linge.

Cette « empreinte du Christ » n’a pas été peinte sur le tissu à l’aide de couleurs, mais elle résulte d’une imprégnation de sang et de sueur. Le visage a de grands yeux, la barbe clairsemée sur le menton, Cette image ne peut pas se qualifier d’image

Le roi Abgar fait élever l’image du Christ sur une colonne, et aussitôt, tout autour, les idoles païennes dégringolent de leur piédestal comme des marionnettes.

Mais après la mort du roi, un évêque cache l’image dans la muraille de la ville pour la mettre à l’abri des ennemis.

Elle fut redécouverte miraculeusement par un évêque en 544 et procura miraculeusement la levée du siège de la ville par l’ennemi perse pourtant largement supérieur en nombre.

En 944, l’image est conduite en grande pompe par bateau d’Edesse jusqu’au port de Constantinople. Elle y est accueillie par une procession, à grand renfort de cymbales et d’hymnes grandioses. L’empereur lui-même précédait, à pied, l’image à son entrée dans la ville, suivi du patriarche et du clergé, pieds nus, torches allumées à la main, et de toute la population de Constantinople.

Le document que constituait la Sainte Face d’Edesse était devenu le témoin de l’Incarnation du Christ. Cette « image » montrait que le Dieu invisible s’était véritablement rendu « visible » en Jésus. C’est à elle que l’Eglise devait donc d’affirmer que Dieu n’est pas seulement entendu dans sa Parole, mais qu’on peut aussi le « voir ».

Nous ne savons pas si c’est Dieu lui-même, ou peut être des anges, qui ont peint ce portrait. Nous ne savons qu’une chose : les hommes, quelle que soit leur habileté, ne peuvent en être à la source.

- Ce voile aurait pu être le voile de la Madeleine. Voile en byssus, le plus précieux qu’elle possédait et qu’elle aurait offert à son bien-aimé en guise d’adieu. Il devait très certainement avoir été placé en dernier, au-dessus des autres linges dans le tombeau, comme un dernier tissu délicat, une ultime enveloppe posée exactement sur le visage. C’est pourquoi il ne présente plus la moindre trace de sang. En surface, il n’y a a plus rien à absorber, ni sueur ni sang. Cette pièce très précieuse faisait office de dernier hommage au Seigneur bien-aimé désormais mort. C’était un adieu plein d’amour.

Le Maître de la Création savait bien quelles fibres étaient nécessaires pour réaliser une merveille telle que cette image sur le voile ! En tout cas, le voile n’est pas seulement une preuve de l’amour miséricordieux de notre Sauveur, pleinement Dieu et pleinement homme, mais il est aussi un signe de l’amour humain qu’on lui a témoigné.

- Un texte, provenant de Tiflis en Géorgie, découvert par un jésuite flamand, mentionne à plusieurs reprises une « image du Sauveur ». «  Après l’Ascension du Christ, la Vierge immaculée conserva une image qui s’était formée sur ou au-dessus du linceul. Elle l’avait reçu des mains mêmes de Dieu et la gardait toujours auprès d’elle afin de pouvoir contempler sans cesse le visage merveilleusement beau de son Fils. Chaque fois qu’elle voulait vénérer son Fils, elle dépliait l’image et l’orientait à l’est pour prier devant elle, les yeux fixés sur son Fils et les mains levées. Avant qu’elle ne fût déchargée du fardeau de sa vie, les apôtres portèrent Marie sur un brancard jusque dans une grotte. Dans cette grotte, ils installèrent Marie devant le visage de son Fils pour mourir. »

Ce devait être le voile de Manopello. Tout le contenu et la structure du texte convergent : « Le beau visage de son Fils », les dimensions de l’image, ainsi que son utilisation pour la dévotion. Qui, hormis Marie, sa mère, aurait conservé auprès d’elle ce linge délicat après la Crucifixion et la Résurrection ? A qui d’autre, dans la première communauté, ce privilège eût-il pu échoir ? Qui d’autre aurait pu l’avoir ?

D’où vient ce linge de soie de mer ? Est-il tombé du ciel un beau jour ? Mais l’homme du portrait n’a pas l’air de venir de Mars. Bien au contraire : il provoque un étrange effet miroir. L’image est tout à la fois étrangère et familière. Le visage s’éclaire pour chacun comme un mystérieux point de référence, que l’on soit homme ou femme. Mais il ressemble quand même plus à celui de l’homme qui fut jadis enveloppé du suaire de Turin. Il dégage la même impression de majesté, et son support de soie de mer est aussi énigmatique que le tissu de lin conservé à Turin – cette autre pièce d’étoffe, bien plus grande, qui fut aussi dès les temps les plus anciens nommés acheiropoietos. Il y a une inimaginable concordance entre ces deux portraits figurant sur ces deux tissus dissemblables : les deux tissus représentent la même personne, sont des originaux, sont parfaitement distincts l’un de l’autre. Le cardinal Ratzinger avait démontré que c’est à partir de la rencontre avec le « visage de Dieu » qu’avait pu se développer une approche de la « personne » telle que nous la comprenons en Occident. « La nouveauté absolue de la religion biblique réside encore et toujours dans le fait que « Dieu », dont il ne peut exister d’image, ait néanmoins un visage et un nom, soit une personne. Le salut ne consiste pas à s’abîmer dans l’inconnu, mais à nous rassasier en contemplant son visage. »

Le visage du voile de Manopello me regarde. Il a les yeux d’un agneau… et aussi d’un lion. La forme du visage et la paix qui en émanent font penser à une vieille icône de Madone. Un homme, barbu, aux tempes ornées de boucles ; le nez, mince est cassé ; la joue droite est enflée, la barbe en partie arrachée. On peut compter presque chaque poil de sa barbiche duveteuse de jeune homme, on distingue ses sourcils, fins, comme ceux d’une jeune femme. Une délicate touffe de cheveux lui tombe depuis la raie du milieu du front, qu’il a haut. En y regardant de plus près, des parties des lèvres, des tempes et du front révèlent ça et là le ton de peau plus rose de plaies fraîchement cicatrisées, mais en quelque sorte « à l’intérieur » des fibres, comme si l’on avait affaire à un hologramme. On retrouve ce genre de traces sous les yeux, sur la cavité des orbites et aussi sur l’œdème de la joue droite. Le cou n’apparaît pas. Ni les oreilles. La chevelure qui encadre le visage les dissimule complètement. Les yeux grands ouverts expriment une indicible paix. De la stupéfaction. De l’ébahissement. De l’étonnement. Une douce compassion. Ses lèvres ne trahissent pas l’ombre d’une souffrance, d’une colère, d’une imprécation. On dirait le visage d’un homme tout juste tiré de son sommeil. La couleur des cheveux et de la peau se nuance de brun, de bronze et de marron. La bouche est entrouverte. La lèvre supérieure est comme ourlée d’un trait de crayon. On distingue même le bord des incisives. La rangée des dents inférieures ne figure qu’à l’état de points clairs. Un VISAGE VIVANT ME REGARDE, il me regarde dans les yeux, comme une vieille connaissance.

Cependant, lorsque le père hôtelier ouvre le portail principal pour aérer l’église, l’image se dissout dans le contre-jour. Aussi évanescente qu’un rêve. Elle devient aussi transparente qu’une vitre.

La brève histoire de la Sainte Face de Manopelo est inscrite sur la plaque du reliquaire : Un dimanche après-midi de l’an 1506, un pèlerin arriva devant l’église Saint Nicolas. Il pria le docteur Giacomantonio Leonelli d’entrer avec lui dans l’édifice sacré où il lui remit un petit paquet. « Chéris et protège toujours ce cadeau. Dieu te le rendra par de multiples grâces et une grande richesse, qu’elle soit terrestre ou céleste. » A peine, le docteur eut-il défait le paquet que le visage du Seigneur le regarda depuis ce voile léger comme un souffle. Lorsqu’il voulut remercier le donateur, il n’y avait plus trace du pèlerin. Au village, nul ne le connaissait, nul ne le revit jamais.

Il se pourrait que le voile de Manopello et le linceul soient restés ensemble à Edesse jusqu ‘au Vè siècle. Les deux linges devaient être imprégnés d’une solution de myrrhe et d’aloès qui les a rendus photosensibles. Avec le linceul, nous sommes très clairement en présence d’un négatif. Le voile que l’on avait sans doute déployé par-dessus, constitue quant à lui de toute évidence un positif. Du point de vue de la technique de la photographie, il devait se trouver sur l’extérieur. Est-ce que Dieu est photographe ? Le mot grec photos signifie « lumière » ; graphein veut dire « écrire ». Nul autre mot ne saurait mieux décrire la technique de ces deux images : elles ont été « écrites avec de la lumière ». Qui peut bien en être l’auteur ?

Dans le tome X, page 352, Maria Valtorta, cette mystique italienne du vingtième siècle se fait le porte parole des enseignements du Christ. Le pape Pie XII tenait la voyante en haute estime et avait ordonné qu’après sa mort, on imprime ses colloques intérieurs avec Jésus.

Jésus dit : « Mes derniers miracles, je les ai faits à Jérusalem, pour la consolation de Marie : c’étaient l’Eucharistie et le voile de Véronique… Le voile de Véronique est aussi un aiguillon pour vos âmes incrédules. Comparez donc le visage du suaire avec celui du linceul. L’un est le visage d’un vivant, l’autre, celui d’un mort. Mais la longueur, la largeur, les signes distinctifs physiques, la forme, toutes les caractéristiques sont identiques. Posez les deux images l’une sur l’autre. Voyez comme elles se correspondent. C’est Moi. Moi qui voulais vous rappeler qui j’ai été, et ce que je suis devenu par amour pour vous. »

Thomas d’Aquin a dit que Dieu a pris la nature humaine. Or, Dieu ne s’est pas fait humanité, il s’est fait homme, un individu bien particulier, avec son visage individuel bien à lui. Seule l’image restitue l’individualité, non pas la parole ! 

L’image de Manopello est probablement arrivée à Rome vers 705 sous le pape Jean VII. Elle a sans doute été dérobée À Constantinople, en 695, quand l’empereur byzantin Justinien II en a été exilé. Pour lui ôter toute envie de revenir, on lui a préalablement coupé le nez. Mais lorsqu’il finit par reconquérir la ville en 705, il ne réussit pas, même en recourant à la torture, à savoir où l’image avait disparu. Une chronique de l’époque raconte que le pape fit ériger dans l’ancienne basilique Saint Pierre pour la « véritable image », une chapelle de la Sainte Vierge qui fut appelée chapelle de Véronique.

L’ancienne Véronique de Rome a disparu de Rome à l’époque précise où le pape a fait démolir la chapelle de Véronique dans l’ancienne basilique Saint-Pierre.

C’est le côté typiquement « signé Jésus » de toute l’affaire ! N’est-ce pas comme s’il avait une fois de plus franchi murailles et portes closes ? Cela ne montre-t-il pas quelque chose de son humour et de l’humour de son Père quand, au moment précis où on lui construit le coffre-fort le plus vaste et le plus formidable de la terre, plus verrouillé que n’importe quel quartier de haute sécurité, que juste à ce moment-là il se retrouve sur les routes, sans abri, comme un homme parmi les hommes ? Quand l’image authentique de Dieu quitte les palais de Rome pour émigrer chez les Capucins, l’ordre mendiant le plus pauvre de la chrétienté.

Comment expliquer les parties les plus clairs du visage.

Le ton des couleurs de la Sainte Face sont difficiles à définir. Ce ton impossible à capter qui se dérobe encore et toujours au regard : bronze, doré, transparent, gris, marron, terre d’ombre, brun…Ce ton de la soie de mer se retrouve sur les parties les plus sombres, comme les yeux ou la bouche entrouverte.

L’acte créateur de Dieu ne peut être compris que comme un acte d’extrême retenue. En créant le monde, Dieu s’est comme retiré afin d’offrir aux créatures de l’espace et de l’air pour vivre et respirer en dépit de sa toute puissance. Et pour, dans ce retrait, laisser au monde et aux hommes la place de mener leur propre existence et d’exercer leur libre arbitre.

L’apparition de l’image du Christ unique en son genre, de Manopello ? Techniquement, elle atteste ce retrait que Dieu voulait laisser une empreinte identifiable de sa puissance créatrice, une indication sur sa manière de créer. Il crée en laissant de l’espace et de l’air pour vivre et respirer. Il crée en se retirant. Dieu n’impose rien. La nouveauté, il la crée à la manière de Jésus qui souffle sur ses apôtres lorsque tout à coup, il se tient devant eux après sa Résurrection.

Le Voloto Santo de Manopello est certainement le plus grand miracle que nous ayons sous les yeux. Personne ne peut prétendre que le voile était plongé dans l’anonymat auparavant. De manière récurrente, il avait toujours fait la une, pour cependant retomber aussitôt dans l’oubli,

Les arguments pour ou contre l’authenticité de la Sainte Face se répètent. Pas un visiteur qui ne commence par être gêné par la « laideur » du visage. Certains donnent des épithètes tels que « monstrueux, épouvantable » ou s’exclament : « Ah non pas ça ! ».

Dans un premier temps, les visiteurs, qu’ils soient pressés ou attentifs, n’arrivent pas à voir les mille visages, le nombre infini de visages que contient cette image. Il faut pour cela passer beaucoup d’heures devant, comme l’avait fait la Sainte Vierge.

Devant le voile, dix personnes verront chacune quelque chose de différent, chacune depuis son point de vue à elle. C’est pour cette raison que les photos barrent plus le chemin qu’elles ne le rendent accessible. Sur le front, sur les tempes et sous l’œil droit, le tissu rayonne d’une teinte rouge sang, visible pour ainsi dire uniquement en l’absence d’éclairage direct, ou bien sur l’écran d’un ordinateur. Ce visage appelle les icônes. Il appelle les traductions. Elle est impossible à reproduire, tout comme, jusqu’à présent en tout cas, les personnes ne peuvent être clonées.

Le changement qui se produit en passant d’un éclairage statique à un éclairage mobile est époustouflant. La nature de l’image ne change pas, mais son expression se modifie, ce qui change complètement la perception du spectateur.

C’est à peu près de cette manière que, deux fois l’an, il vient à la rencontre des gens, lorsque l’image se donne à chacun de ceux qui sont venus le voir : quand il sort de l’église en procession. La plus longue de ces processions se déroule le troisième dimanche de mai, la plus courte le 6 août, fête de la Transfiguration du Christ sur le mont Thabor. A chaque fois l’image est montrée au grand jour : une fois en pleine journée, l’autre juste avant le crépuscule. Et l’image s’anime de façon inimaginable.

Dès que la Sainte Face quitte l’église, elle vire au gris argenté sous le ciel. Désormais, son apparence va changer à chaque pas, à chaque tournant. Tout en conservant strictement son identité, l’image va changer d’apparence sur ce chemin, à chaque coin, à chaque embranchement, à chaque nouvel angle de vue. Il change sans cesse, parfois, il a l’air aimable, parfois, il a l’air sévère, ou bien il a l’air content, il a ri en sortant de l’église. Avec le vert des collines, le visage prend des couleurs chair, il a les yeux verts. En passant le pont suivant, il brille à nouveau d’un éclat argenté sous le ciel. De tems en temps, il disparaît, mais sans cesser de regarder chacune et chacun. Tant de douceur, tant de force ! Quand l’ombre vient de côté, il ressemble à quelqu’un qui regarde par la fenêtre de derrière son rideau. Deux pas plus loin, on dirait qu’il écarte lui-même le rideau.

Quelle idée géniale d’introduire cette procession ! Car c’est ainsi seulement, à la lumière naturelle, que l’image dégage pleinement toute sa richesse. La Sainte Face a un incomparable rayonnement dans un chatoiement d’or et de bronze aux rayons du soleil et à l’ombre des arbres.

En plus de se faire homme, Dieu a décidé de laisser une image authentique de son incarnation. Nous sommes en présence d’une impossibilité technique que tous ceux qui le veulent peuvent vérifier par eux-mêmes à l’œil nu. Le voile est l’image même de toute personne et de sa liberté. Sous ce regard, un bon nombre de polémiques et d’hérésies voleront en éclats. Sous ce regard, l’inimitié se dissout en miséricorde. Car l’Eglise n’a plus qu’un chef, c’est le Christ. Il est le Seigneur. Nous avons ici une authentique image de Lui. Plus ancienne que tout texte !

L’image du Christ est le véritable et incorruptible « lieu-tenant » du Christ.. L’image miraculeuse de Manopello qui recèle au plus profond d’elle-même une image du Christ, est dans le monde, mais le monde ne la reconnaît pas. Cette Face est l’ostensoir du cœur de Dieu. Le Cœur de Dieu se rend visible.

Il ne nous regarde pas seulement en face, il nous sonde le cœur. Ce n’est pas le regard d’autorité d’un juge sévère, c’est avec le regard d’un frère, d’un ami. C’est le regard du bon berger. Dieu a pris visage humain, un visage très précis, qui ressemble à celui de sa Mère. Le Christ est l’image du Dieu invisible. Dieu a exigé que l’on ne fasse pas d’image de lui : ni d’aucun homme d’ailleurs, puisqu’ils sont faits à son image. Il voulait faire lui-même don de cette image. Une image plus inimaginable que ce qu’aucun artiste ne pouvait imaginer.

Les Evangélistes mentionnent lors de la Transfiguration le visage du Christ : « Son visage resplendit comme le soleil » (Matthieu), « Et il advint, comme il priait, que l’aspect de son visage devint autre » (Luc). Les Evangélistes évoquent une cinquantaine de fois son regard.

Si cette image est authentique et provient du tombeau vide de Jérusalem, alors d’une certaine manière, elle est, avec le linceul de Turin, la première et la plus ancienne page des quatre Evangiles. Alors, elle n’est plus seulement l’Image des images, elle est aussi le Texte des textes, la Parole des paroles, le tout en un seul et unique paquet sémantique ! Cela veut dire que cette image concentre en elle tout un ensemble de significations. Lorsque l’image du Christ a été volée, c’est comme si nous nous étions cassé une aile qui nous aurait permis, avec les autres textes de la Bible, de nous élever vers la lumière de la connaissance tout entière de la vérité. Mais le visage perdu n’a pas disparu.

Sœur Blandina Paschalis Scklömer, cistercienne (trappistine), passe pour être la première à avoir redécouvert la « Sainte Face ». Elle a découvert que l’image non seulement ressemble au suaire, mais aussi aux icônes du Christ. Convaincue que l’image de Manopello est authentique, elle n’a eu de cesse de montrer que son origine n’est pas de ce monde. En 1999, elle réalise la superposition des deux images du suaire de Turin et du voile de Manopello, grâce à des calques. Les deux images se superposent parfaitement, au détail près. Mais elle découvre encore que le voile, posé sur une foule d’images du Christ et de vieilles icônes, semblent révéler et dévoiler d’une manière toujours nouvelle le véritable visage de la personne du Christ. Comme si le voile ouvrait une fenêtre à travers les œuvres d’art. Un tissu qui découvre au lieu de recouvrir – comme s’il permettait à tout homme et à toute œuvre d’art devant lesquels on le présente, de rejoindre le véritable visage du Christ. Ce petit tissu recèle un message incroyable.

Sœur Blandina est convaincue que depuis le IVè siècle, empereurs et artistes ont utilisé et ce portrait et le suaire de Turin comme « documents non écrits » de la foi chrétienne : l’image d’un mort d’une part, celle d’un vivant de l’autre. Il y aurait deux sources pour les représentations du Christ, et non pas une seule. Elle est sûre que ce voile représente le visage du Christ vivant alors que le suaire de Turin offre le visage du Christ mort.

L’image de Manopello n’est pas une empreinte. Elle ne l’a jamais été. Elle n’est pas non plus un cliché ni le résultat de quelque autre processus dont les théories et hypothèses des dernières décennies se sont gargarisées. L’image de Manopello est inexplicable et le restera. Elle est un miracle. Il n’est pas permis qu’elle existe ! Aucune image au monde ne supporte la comparaison avec ce voile en fils de nacre, avec cette image du Verbe fait chair. Intimement lié au linceul, sans la moindre erreur de copie, plus fin que le plus fin des papyrus. Aucun autre document iconographiques ne correspond à ce point à toutes les sources, à tous les témoignages parlant depuis l’Antiquité de cette véritable image du Christ, mystérieuse et « non faite de main d’homme ». Mais comme elle est petite et transparente ! Comme on vient peu la lire ! Comme elle est fragile et vulnérable ! Seuls trois capucins veillent sur elle.

« Je tente de ne plus interroger, juger ou scruter cette paire d’yeux. Maintenant c’est Lui qui me regarde. Enfin le « nid de guêpes » que j’ai dans la tête accepte de me laisser un peu de répit. C’est Lui qui me regarde et non le contraire. »

Jacob a béni son fils Juda et toute la tribu dans la Genèse, en disant : « Ses yeux sont meilleurs que du vin, ses dents plus blanches que le lait ! » Voilà pourquoi il nous donne ici à voir ses dents blanches comme le lait ! Il faut qu’elles soient visibles pour que nous puissions voir que c’est vrai. On ne peut pas vraiment dire qu’elles soient blanches, mais la formule est jolie. Les pupilles sont aussi sombres qu’un vin du plus beau noir. J’ai devant moi le visage vivant du Dieu des vivants, désarmé, visiblement et invisiblement. Le Maître de l’univers visible et invisible, en qui les chrétiens croyaient jadis. « Ta Face est ma seule patrie » disait la petite Thérèse de Lisieux, cette grande sainte, bien qu’elle n’ait jamais vu ce tissu.

« C’est le Seigneur ! » s’exclama Jean dans la barque de Pierre lorsqu’il entrevit ce visage dans les brumes matinales sur les bords du lac de Génésareth, à la lueur du feu de bois. « Mon Seigneur et Mon Dieu ! » s’écria Thomas l’incrédule quand Jésus se tint devant lui, à peine dix jours après son exécution, bien vivant et non comme un spectre. La plupart d’entre eux ne l’ont pas tout de suite reconnu après la Résurrection. Il se manifestait avec la même pudeur que sur ce tissu en soie de mer.

Que peut-on en dire finalement ?

Ce tissu se trouvait-il auprès du linceul, dans le tombeau ? Je ne le sais pas. C’est si merveilleux, que ce miracle lui aussi est bien possible, voire vraisemblable. Je le crois mais je ne le sais pas. La découverte de cette image va déclencher une révolution dans l’histoire des idées.

L’itinéraire de l’image à travers les siècles jusqu’à nos jours risque de demeurer une énigme. Les preuves font défaut. Un grand nombre de dates restent difficiles à recouper.

Il n’empêche qu’en 2006, Manopello a fêté le cinq centième anniversaire de l’arrivée du Volto Santo.. Ce morceau d’étoffe est indubitablement le plus précieux qui soit au monde. Il n’a pas élu domicile dans les livres, il réside en lui-même, de façon tout à fait indépendante. Aucun livre ne saurait épuiser le sujet. Celui qui a voix au chapitre n’est donc ni un voyant, ni une légende, ni une source grecque ou latine, ni un professeur, ni un article : c’est la voix discrète de l’homme lui-même qui s’y laisse voir. Il répand son souffle sur nous, sur chacun en particulier.

Tel est le message subjuguant et si parlant de ce document. Devant cette voix et cette vision, il devient clair aussi que, dans la vie de Jésus, il y eut un seul moment précis où ce visage a été dessiné. Ce ne fut pas en se lavant le visage pour le roi Abgar. Ce ne fut pas après la flagellation, ni après la Transfiguration sur le mont Thabor. Ce ne fut pas non plus au jardin de Gethsémani, où une sueur de sang perla sur son visage, ni sur le chemin du Calvaire, où une femme aura peut être essuyé sa face ensanglantée.

Ce visage a subi beaucoup de blessures, cependant ici, elles sont toutes guéries. Mais sérieusement, ce tissu d’une finesse arachnéenne a tout aussi peu absorbé de la sueur et du sang que ne le peut un bas de nylon. Ce n’est plus une « tête couverte de sang et de plaies. Les blessures viennent de cicatriser. Le nez est remis d’aplomb. Même l’épouvantable blessure à l’œil dont témoigne encore le linceul de Turin a disparu. C’est un visage guéri. Tout le sang, toutes les larmes ont été essuyés. S’il existe une relique de la Résurrection, alors la voilà ! C’est le salut depuis l’autre côté, depuis le Royaume du Salut.

Tous les anciens noms qui se sont accumulés n’ont contribué qu’à créer la confusion : ce n’est pas « la Véronique », en tout cas, pas uniquement, ni l’image d’Abgar, telle que la rapporte la légende, ni le suaire. Ce n’est pas l’image d’Edesse évoquée par les légendes. Tous les noms, toutes les légendes n’ont jamais été que des tentatives renouvelées pour expliquer cet objet inexplicable et insaisissable.

Le voile en soie de mer n’est somme toute pas une image. Il est la perle la plus précieuse qu’on ait tiré des profondeurs de la mer. Mais quand bien même serait-il tout simple, ou d’une étoffe aussi grossière qu’un sac de pommes de terre, et non pas fin comme une toile d’araignée ou des ailes de papillon, il porte une parole qui brille au soleil. Une parole qui repose ici, paisible, au milieu des concepts et de toutes les disputes. Elle est le resplendissement du Messie, du Saint d’Israël. Le tissu en soie de mer est l’œuvre de l’Esprit Saint. Il s’adresse à chacun dans sa langue. L’Esprit manifeste ici le Fils comme le Fils a manifesté le Père. Ses yeux, qu’il ouvre à l’instant même, y participent déjà à l’éternité, et ses lèvres entr’ouvertes y laissent jaillir son premier mot, dans sa langue maternelle : « Abba, Père ! »

Le 1er septembre 2006, Benoît XVI fut donc le premier pape, depuis ds siècles, à se tenir face à face avec ce Visage qui avait été si longtemps le trésor le plus précieux de la chrétienté. Il déclara : « Nous pouvons bien dire que Dieu s’est donné un visage humain, celui de Jésus, et par conséquent, désormais, si nous voulons vraiment connaître le visage de Dieu, nous n’avons qu’à contempler le visage de Jésus ! Dans son visage, nous voyons réellement qui est Dieu et comment est Dieu ! »

Quinze jours plus tard, il éleva la petite église de Manopello dans les Abruzzes à la dignité de basilique pontificale.  

(Tiré du livre de Paul Badde « L’autre suaire »,ed. du Jubilé)