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5 - Sœur Lucie

Lucie après les apparitions

Le Seigneur lui réserva des peines intimes peu ordinaires. Elle souffrit, par exemple, de ses relations souvent difficiles avec les curés de sa paroisse.

Après les apparitions, elle endura les interrogatoires du Père Ferreira et, peut-être plus encore, ses doutes à ce sujet. 

Lucie souffrit beaucoup de l'ébranlement subi par sa famille, comme si l'adversité s'était acharnée sur elle. Sa peine fut d'autant plus vive qu'on la rendait responsable du malheur des siens. 

Elle endura - après les moqueries de ses sœurs et la longue incrédulité de sa mère - les mépris, sarcasmes, suspicions et même les brutalités de certains villageois, qui s'ajoutaient aux coups de balais maternels. Elle souffrit des interrogatoires du ferblantier, comme ce jour où elle dut partir pour Ourem sur une bourrique dont elle tomba trois fois en chemin. Cependant la compagnie et l'aide de son papa la rassurèrent. 

Sous de telles avalanches, la bergère se taisait, souffrait, offrait : « Ainsi, j'ai le bonheur de souffrir davantage pour votre amour, ô mon Dieu, et pour la conversion des pécheurs. » 

Les villageois la rendirent responsable du départ du curé, mécontent et perplexe au sujet des événements. Elle reçut à nouveau insultes, gifles et coups de pied. Jusqu'au jour où Dieu lui prit son père et où la grippe espagnole frappa le village, lui enlevant successivement François puis Jacinthe. Retirée dans sa chambre, elle pouvait s'écrier : « Mon Dieu  ! Mon Dieu ! Je n'aurai jamais pensé que vous me réserveriez tant de souffrances ! Mais je souffre par amour pour vous, en réparation des péchés, pour la conversion des pécheurs. »

La Dame du Rosaire avait dit à Lucie qu’elle survivrait un certain temps à ses jeunes cousins, sans en préciser la durée. Ce délai était relatif à sa double mission : faire aimer le Cœur immaculé de Marie; obtenir de l’Eglise hiérarchique la consécration de la Russie. 

La vie de Lucie après 1920 comprend plusieurs phases, jalonnées par les deux apparitions supplémentaires annoncées le 13 juillet 1917. 

De 1921 à 1925
l’écolière, la «fille de Marie»

La vie publique de l’enfant Lucie était terminée. Avec son départ de Fatima, sa vie cachée commençait, jusqu’à ce qu’elle soit consommée. 

Mûrie par l’intensité de vie de ces trois années et des souffrances endurées, elle était à même de mieux comprendre ce que Dieu voulait d’elle. En tout cas, elle avait commencé à se former à  une obéissance peu commune, à laquelle elle allait devoir se conformer toute son existence d’une manière exemplaire, car ses épreuves - à la hauteur de l’enjeu - étaient loin d’être finies. 

Pour la soustraire à la curiosité publique et voir clair dans les événements dont il était soudainement chargé, le nouvel évêque de Fatima, Mgr José da Silva, résolut de la placer dans un orphelinat, à l’asile de Vilar, à Porto, chez les Sœurs Dorothées, où elle poursuivit son instruction à peine ébauchée à Fatima. C’est une adolescente qui arriva au pensionnat de Porto. Elle y fut soumise à un oubli absolu, sous un autre nom, sa réelle identité étant inconnue de l’entourage. Tout en parachevant son éducation, elle entendit l’appel à la vie consacrée et souhaita devenir carmélite, en lien avec l’apparition de Notre Dame du Mont-Carmel qu’elle avait vue dans le ciel de Fatima le 13 octobre. Mais on le lui déconseilla pour raison de santé et elle accepta, sans toutefois y renoncer pour toujours. 

1923, une nouvelle apparition

C’est au milieu de son séjour à Porto qu’elle eut une nouvelle apparition de la Vierge, le 26 août 1923, jour de son entrée chez les Filles de Marie. La Madone lui dit alors qu’elle acceptait d’être sa vraie Mère du Ciel, du fait qu’elle avait quitté celle de la terre pour son Amour. Comme à la Cova da Iria, elle lui recommanda la prière et le sacrifice pour sauver les pécheurs et leur épargner, précisa-t-elle, l’horreur de l’enfer. 

Quoique vivant dans la discrétion la plus complète, afin de n’être ni connue, ni reconnue, Lucie se fit remarquer bien malgré elle par ses vertus exceptionnelles, au premier rang desquelles reviennent constamment celles d’obéissance, humilité, prudence, amour incomparable envers l’Eucharistie et Notre Dame. Elle faisait tout sans rechigner et avec bonne volonté ; elle choisissait toujours le travail le plus dur ou le plus ingrat, ceci avec une exquise simplicité. Tandis que ses compagnes sortaient en promenade, elle ne sortait jamais, elle qui, jadis, parcourait la campagne d’Aljustrel “à tire d’aile“... 

A la chapelle, sa piété édifiait. Elle priait toujours à genoux. On lui voyait un amour hors du commun pour la Vierge, dont elle parlait à ses compagnes comme personne. 

Au moment de quitter l’orphelinat et de partir pour Pontevedra, elle s’arrêta avec sa supérieure au couvent de Tuy en Espagne tout près de la frontière portugaise. Là, à la chapelle, agenouillée devant la statue de Notre Dame, elle demanda avec ferveur la grâce d’être admise comme carmélite postulante dès le premier jour. Elle priait encore, quand la Mère provinciale, entrant à la chapelle, lui annonça : «Écoute, à partir d’aujourd’hui, tu es postulante.» 

De 1925 à 1926 : à Pontevedra 

C’est là en Espagne que Marie demande la dévotion à son Cœur immaculé. Après la brève halte de Tuy, si réconfortante pour elle, Lucie arriva au couvent des Sœurs Dorothées de Pontevedra - ville située entre la frontière et Saint-Jacques de Compostelle - à la fin octobre 1925. Elle devait y faire son postulat, pour préparer son noviciat. Ne devant parler à personne des événements passés, elle gardait tout caché au fond de son cœur et, comme sa Mère du Ciel, elle les méditait sans cesse. Elle se souvenait notamment de la double promesse du 13 juillet 1917 où la Vierge lui avait dit qu’elle reviendrait pour demander la communion réparatrice des premiers samedis et la consécration de la Russie à son Cœur immaculé. Or, le moment d’exprimer la première promesse était venu. 

Les cinq premiers samedis

Dans la soirée du jeudi 10 décembre 1925, Lucie, en prière dans sa petite cellule, a eu l’apparition de la Vierge Marie avec l’Enfant Jésus à côté d’elle, porté par une nuée lumineuse. La très Sainte Vierge mit une main sur son épaule et lui montra en même temps, un Cœur entouré d’épines qu’elle tenait dans l’autre main. En même temps, I’Enfant Jésus lui dit : «Aie compassion du Cœur de ta très Sainte Mère, couvert des épines que les hommes ingrats lui en-foncent à tout moment, sans qu’il y ait personne pour faire un acte de réparation pour les retirer.» 

Ensuite la très Sainte Vierge lui dit : « Vois, ma fille, mon Cœur entouré d’épines que les hommes ingrats lui enfoncent à tout moment par leurs blasphèmes et leurs ingratitudes. Toi, du moins, cherche à me consoler et dis que tous ceux qui, durant cinq mois, le premier samedi, se confesseront, recevront la sainte communion, réciteront le chapelet et me tiendront compagnie pendant quinze minutes, en méditant les quinze mystères du rosaire, afin de me faire réparation, je promets de les assister à l’heure de la mort, avec toutes les grâces nécessaires à leur salut. »  

A la suite de cette nouvelle communication du Ciel, dont l’importance est soulignée par la présence de Jésus, Lucie s’employa à trouver autour d’elle la compréhension et les concours requis. Mais elle ne trouvait qu’hostilités et refus... 

L’Enfant Jésus

- Le 15 janvier suivant, en allant porter une boîte à ordures en dehors de l’enclos, j’ai rencontré un enfant, dit Sœur Lucie et je lui ai demandé s’il savait l’Ave Maria. Il me répondit que oui et je lui dis de le réciter pour que je l’entende. Mais comme il ne se décidait pas à le dire seul, je l’ai récité trois fois avec lui. A la fin des trois Ave Maria, je lui ai demandé de le réciter seul. Comme il restait silencieux et ne paraissait pas capable de le dire seul, je lui ai demandé s’il connaissait l’église Sainte-Marie. Il me répondit que oui. Je lui dis d’y aller tous les jours et de dire là : O ma Mère du Ciel, donnez-moi votre petit Jésus ! Je lui ai enseigné cela et je suis partie. 

- Le 1er février, en revenant au même endroit, je rencontrai un enfant, qui me parut le même et je lui demandai : Alors, as-tu demandé le petit Jésus à notre Mère du Ciel ?

L’enfant se tourna vers moi et me dit :

- Et toi, as-tu répandu dans le monde ce que la Mère du Ciel t’a demandé ? 

Là-dessus, il se transforma en un Enfant Jésus resplendissant... 

Après Pontevedra, Lucie s’est consumée en prières et en sacrifices pour répandre dans l’Eglise et dans le monde ce culte demandé par Dieu. Elle a beaucoup souffert des résistances, de la tiédeur et de l’indifférence rencontrées. Et elle a expérimenté la solitude qui devait être la sienne  quand elle parlait à Jacinthe mourante  sans se douter de la profondeur qu’elle aurait.