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3 - Après les apparitions

Les interrogatoires...

Les apparitions, qui ont été les mystères joyeux pour les voyants, sont terminées. Les autorités religieuses gardent encore le silence. Le prêtre chargé d'une enquête par le cardinal, qui a assisté au « miracle » du 13 octobre, interroge les enfants l'un après l'autre. Il essaye, en vain, de connaître d'eux le « secret » confié par Notre Dame à la troisième apparition. La candeur et la totale loyauté des petits l'impressionnent favorablement. Il commence à y croire. Mais le cardinal de Lisbonne, prudent, ne se prononce pas encore : c'est trop grave d'engager l'Eglise avant que l'on ait une absolue certitude de l'origine surnaturelle des événements de Fatima.  

Nos trois pastoureaux, sans se soucier de toutes ces discussions, continuent leur vie très simple. Leur plus grande pénitence est de devoir, sans cesse, être visités et interrogés. Ils sont épuisés, Lucie surtout, parce qu'on l'interrogeait plus longuement, elle n'en pouvait plus de fatigue et son état d'épuisement était tel qu’il lui arrivait souvent de ne plus bien se rappeler certaines circonstances des apparitions. 

Leurs parents se décident à vendre les brebis, puisqu'il n'y a plus moyen de les envoyer aux champs. D'ailleurs, la Dame n'a-t-elle pas demandé que les enfants apprennent à lire ? Ils vont donc à l'école de Fatima et Lucie y travaille du mieux qu'elle peut pour rattraper le temps perdu. Les trois petits se retrouvent le plus souvent possible pour prier ensemble et redire les prières apprises. Chaque fois qu'ils le peuvent, ils vont à la Cova da Iria. Mais souvent, ils sont reconnus et assaillis.

François, de plus en plus fervent, passe de longs moments à penser à Jésus et au message de Notre Dame. Les deux filles le trouvent un jour prosterné derrière un mur :

- Pourquoi ne viens-tu pas prier avec nous ?

 - Je préfère être seul pour penser à Notre Seigneur et le consoler. 

Il est tellement plongé dans la prière que parfois il n'entend pas qu'on l'appelle. Sachant qu’il doit mourir bientôt, il préfère aller devant le Saint-Sacrement à l’église paroissiale plutôt que d’aller à l’école. Mais quand c'est pour rendre service, il est toujours prêt. Ses parents le trouvent de plus en plus obéissant et dévoué.

François part pour le Ciel

L'automne arrive, la guerre va bientôt se terminer. C'est alors qu'une épidémie de grippe s'abat sur le monde et spécialement sur l'Europe. Elle fut très grave et fit de nombreuses victimes un peu partout.  Cette épidémie, qu'on appela « grippe espagnole », apparaît à Fatima à la fin d'octobre. Chez les Santos, toute la famille est plus ou moins atteinte, excepté Lucie. Chez les Marto, François est touché le premier et bientôt la grippe dégénère chez lui en broncho-pneumonie. Manuel, le père, reste un moment le seul valide à la maison. 

Mais c'est François qui est le plus malade. Pourtant, on le voit joyeux : il sait que pour lui, c'est la promesse de Notre Dame «de le prendre au Paradis» qui commence à se réaliser. Gentil avec tous, il accepte tout, même les médicaments les plus amers, sans grimace. Il y a seulement quelques jours que Francisco est alité lorsque Jacinthe est atteinte à son tour, mais moins gravement. Elle s'assied souvent auprès du lit de son frère. La force du mal était telle pour François qu’il ne pouvait même plus remuer. lls sentaient bien que cette maladie devait les conduire au Ciel.

Ce fut alors que la Vierge leur apparut, pour leur dire qu’elle viendrait, sans tarder, chercher François et que bientôt, aussi, elle viendrait chercher Jacinthe.     

« Ecoute, Lucie, lui dit Jacinthe tout émue, Notre Dame est venue nous voir et elle a dit qu’elle viendrait, dans très peu de temps, chercher François pour l’emmener au Ciel. A moi, elle m’a demandé si je voulais encore convertir davantage de pécheurs. Je lui ai dit que oui. Notre Dame veut que j’aille dans deux hôpitaux ; mais pas pour guérir. Ce sera pour souffrir davantage, pour l’amour de Dieu, pour la conversion des pécheurs et en réparation des offenses commises contre le Cœur immaculé de Marie. Elle m’a dit que tu n’y viendrais pas ; que ma mère m’y conduirait et qu’ensuite je resterais là toute seule. »     

Depuis ce moment, Jacinthe et François, redoublèrent leurs élans d’amour et leurs aspirations vers le Ciel. Tranquillement, joyeusement, ils attendaient maintenant la mort, qui serait pour eux le Ciel, Jésus, une félicité sans fin... 

Dans le court espace de temps où François se sentit mieux, il se rendit à la Cova da Iria, d’un pas mal assuré, afin de revoir, encore une fois, le lieu béni où il avait vu la belle Dame. 

La maladie allait bientôt avoir raison de son organisme épuisé. Le dernier jour avant son départ pour le Ciel, Lucie ne quitta pas un instant la chambre de son cousin. « Comme il ne pouvait plus prier, écrit-elle, il nous demanda de réciter pour lui le chapelet. » 

- Je vais partir pour le Ciel, mais là je prierai beaucoup Notre Seigneur et Notre Dame, pour qu’ils vous emmènent là aussi bien vite.

- Dis bien mon bon souvenir à Notre Seigneur et à Notre Dame, lui disait Jacinthe et dis-leur que je souffrirai tout ce qu’ils voudront pour convertir les pécheurs et réparer les péchés contre le Cœur immaculé de Marie ! 

Lucie, elle, se taisait. Elle savait bien qu’elle devrait encore rester longtemps dans ce lieu d’exil, avant d’aller retrouver ses cousins dans la patrie céleste.     

Quand la nuit fut tout à fait tombée, François appela sa mère, qui le contemplait, muette de douleur et lui dit : « Oh, Maman, voyez !... Quelle belle lumière, là, près de la porte ! » 

Le jour suivant, le 4 avril 1919, tout indiquait que la fin était proche. Vers 10 heures, le visage de François s’illumina d’une manière surprenante. Un sourire angélique entrouvrit ses lèvres, qui laissèrent échapper son dernier soupir. Doucement, sans agonie, sans aucun indice de souffrance, il s’est éteint dans la paix de Notre Dame.

Plus tard, au couvent de Tuy, en Espagne, Sœur Lucie se laissa un jour envahir par une pensée qui lui donna du regret : « Quel bon prêtre aurait fait mon cousin François, s’il avait vécu ! » Mais, finissant par se raisonner, non, Notre Dame ne l’avait pas voulu ! Elle avait réservé au petit berger une autre mission, un autre sacerdoce, celui qu’il continue à remplir au Ciel, pour le bien des âmes qui l’invoquent avec confiance. 

Jacinthe à son tour

La mort de François causa une profonde impression à Lucie et plus encore à Jacinthe. Celle-ci, assise sur son lit, le front brûlant de fièvre, passait des heures plongée dans ses réflexions. Quand sa mère ou sa cousine lui demandaient : 

- A quoi penses-tu, Jacinthe ? 

- Je pense à François, répondait-elle... Comme je désirerais le revoir ! 

Mais ce n’était pas seulement le souvenir de François qui l’attristait. Jacinthe pensait aussi à la guerre qui allait venir. « Il va mourir tant de monde et il y en a tant qui vont en enfer ! Il y aura tant de maisons détruites et tant de prêtres morts ! Ecoute, moi je vais au Ciel ; mais toi, quand tu verras, la nuit, cette lumière que Notre Dame nous a dit devoir venir auparavant, sauve-toi aussi là-haut ! » 

- Tu ne vois pas, répondait Lucie, qu’on ne peut s’enfuir ainsi au Ciel

- C’est vrai, reprenait la petite. Mais n’aie pas peur ! Moi, au Ciel, je prierai beaucoup pour toi, pour le Saint-Père, pour le Portugal, pour que la guerre n’arrive pas jusqu’ici et pour tous les prêtres. 

La petite malade souffrait beaucoup. A part quelques jours où elle se trouva un peu mieux, Jacinthe ne quitta guère son lit, depuis les derniers jours d’octobre de l’année 1918. Après la broncho-pneumonie, se déclara une pleurésie purulente, qui lui causait de grandes souffrances. Elle les supportait, cependant, avec une résignation, une joie même, qui surprenait. Quand sa mère s’attristait de la voir tant souffrir, elle lui disait : «Ne vous tourmentez pas, Maman ! Je vais au Ciel et là je prierai beaucoup pour vous... Ne pleurez pas, je me sens bien !» Toutefois, elle confiait à Lucie : « Je veux que tu ne dises à personne que je souffre, même pas à ma mère, parce que je ne veux pas qu’elle s’afflige. » Bonne petite âme ! Malgré ses souffrances, elle sait s’oublier elle-même, pour penser seulement aux souffrances des autres.    Le médecin traitant, voyant la gravité du cas et la difficulté de la soigner chez elle, conseilla aux parents de l’envoyer à l’hôpital de Vila Nova de Ourem. Jacinthe savait que le traitement de l’hôpital ne lui rendrait pas la santé, mais servirait seulement à augmenter ses souffrances. Ce fut cependant avec joie qu’elle accepta d’aller à la ville. Elle aurait beaucoup à souffrir là-bas ; elle pourrait donc convertir beaucoup de pécheurs et consoler le Cœur de sa « Maman du Ciel ». Quel bonheur !     

« Tu iras dans deux hôpitaux, lui avait dit Notre Dame. Mais ce ne sera pas pour guérir. Ce sera pour souffrir davantage, pour l’amour de Dieu, pour la conversion des pécheurs et en réparation des offenses commises contre mon Cœur immaculé. » Elle était heureuse d’aller à l’hôpital pour montrer son amour à Marie en y souffrant plus qu’à la maison, mais il y avait une pensée, cependant, qui torturait son petit cœur aimant. A l’hôpital, Lucie ne serait pas là. Comment pourrait-elle se passer d’elle ?     

« Ta mère te conduira à l’hôpital, lui avait encore dit la Vierge et tu resteras là toute seule ! »

Souffrir beaucoup... Oui ! elle le voulait bien. Mais souffrir sans Lucie !...    Notre Seigneur, au jardin des Oliviers, avait senti la même peine de souffrir seul. Par trois fois, il avait interrompu sa prière, pour demander à ses apôtres de veiller avec lui : « Veillez et priez avec moi !... Vous n’avez pas pu veiller une heure avec moi ? »     

Comment s’étonner donc de rencontrer le même sentiment dans l’âme si affectueuse de la petite Jacinthe ?     

« Au moins si tu venais avec moi !, disait-elle à sa cousine. Ce qui me coûte le plus, c’est d’aller là-bas sans toi !... L’hôpital est peut-être une maison obscure, où on ne voit rien; et je vais être là à souffrir toute seule ! »     

Il le fallait, cependant. Dans les premiers jours de juillet, M. Marto, prenant dans ses bras le corps amaigri de sa fille, I’installait le mieux possible sur le dos de son ânesse et conduisait Jacinthe à Vila Nova de Ourem. On y soumit la petite malade à un traitement rigoureux, mais qui ne donna aucun résultat. Pour Jacinthe, les deux mois passés à l’hôpital furent un martyre continu, sauf les deux jours où Lucie vint lui rendre visite. Quand elle la vit près d’elle, Jacinthe l’embrassa tendrement et demanda à sa mère de la laisser seule avec elle.     

« Je la trouvais, écrit Sœur Lucie, avec la même joie de souffrir pour l’amour de Dieu, pour l’amour du Cœur immaculé de Marie, pour les pécheurs et pour le Saint-Père. C’était là tout son idéal ; c’était là tout le sujet de sa conversation. » Bernadette, I’humble bergère de Lourdes, a entendu l’lmmaculée, qui a daigné lui apparaître sur le rocher de Massabielle, lui promettre qu’elle la rendrait heureuse, non en ce monde, mais dans l’autre. La Vierge aurait-elle fait une promesse identique à la petite Jacinthe, à qui elle a communiqué un secret que la voyante ne peut révéler à personne ? Il est sûr que les souffrances de Jacinthe ont rendu plus éclatante sa couronne de gloire dans le Ciel.

Le bacille de Koch rongeait le petit corps de Jacinthe et la faisait souffrir toujours davantage. Cependant sa faim de sacrifices ne diminuait pas pour autant. Elle continuait à pousser à l’extrême ses efforts pour se mortifier. Elle ne réduisait ses exercices ascétiques que lorsqu’elle ne pouvait absolument plus les poursuivre.

« Quand je suis seule, confiait-elle à Lucie, je descends de mon lit pour réciter les prières de l’Ange. Mais, maintenant, je ne suis plus capable de me prosterner, la tête sur le sol, parce que je tombe. Je prie seulement à genoux. »     

De retour à la maison, Jacinthe allait un peu mieux. Avec les jours pluvieux de l’automne, ses parents ne lui permirent plus d’aller à la Cova da Iria, distante d’Aljustrel de près de deux kilomètres. Mais ils ne l’empêchaient pas, cependant, d’aller à la messe à l’église de Fatima, distante d’un kilomètre, le dimanche et même parfois en semaine. 

« - N’y va pas, Jacinthe !, lui disait Lucie. Tu ne peux plus. Ce n’est pas dimanche aujourd’hui.

- Qu’importe !, répondait la petite, attirée invinciblement par “Jésus caché“, je vais y aller pour les pécheurs qui n’y vont même pas le dimanche. » Revenant de I’église épuisée, elle allait s’asseoir sur son lit. Lorsqu’arriva l’hiver, elle ne pouvait plus sortir de la maison. Lucie, alors, allait passer de longues heures auprès d’elle. Pour Lucie, Jacinthe n’avait pas de secrets. Elles parlaient ensemble de leurs mortifications, de leurs sacrifices, qui leur semblaient peu de chose pour consoler les Cœurs de Jésus et de Marie. «Ecoute, tu sais, disait Jacinthe, Notre Seigneur est triste, parce que Notre Dame nous a dit de ne plus l’offenser davantage, qu’il était déjà trop offensé, mais on n’en fait aucun cas ; on continue à faire les mêmes péchés.» Elle lui énumérait alors toutes les occasions dont elle avait profité, le jour et la nuit précédente, pour réparer tant d’outrages faits à Dieu : « J’avais très soif et je n’ai pas voulu boire. Je l’ai offert à Jésus pour les pécheurs. Cette nuit, je souffrais beaucoup et j’ai voulu offrir à Notre Seigneur le sacrifice de ne pas me retourner dans mon lit. Aussi je n’ai pas dormi du tout... Et toi, Lucie, as-tu fait aujourd’hui quelque sacrifice ? » Quelquefois, cependant, la nature regimbait, sans qu’elle le voulût. 

Sa volonté, ou mieux son amour du Cœur immaculé de Marie et des pécheurs, triomphait toujours. Je prends tout par amour de Notre Seigneur et du Cœur immaculé de Marie, notre «Maman du Ciel». Quand sa mère lui apporte, avec une tasse de lait, une belle grappe de raisin et lui laisse le choix, elle prendra de préférence le lait. « Non, Maman, je ne prendrai pas les raisins ; vous pouvez les emporter. Donnez-moi plutôt le lait ; je vais le prendre. » Et lorsque sa mère s’est retirée, elle dit à Lucie : «J’avais tellement envie de ces raisins et cela m’a tant coûté de prendre le lait ! Mais j’ai voulu offrir ce sacrifice à Notre Seigneur.»     

Lucie ne communiait pas tous les jours, mais assez fréquemment. Lorsqu’elle revenait de l’église, elle ne manquait jamais de faire une visite à la petite malade, qui lui demandait gentiment : « Oh, Lucie, as-tu communié aujourd’hui ? Alors, approche-toi bien près de moi, parce que tu as dans ton cœur “Jésus caché“... Je ne sais pas comment cela se fait, je sens Notre Seigneur au-dedans de moi. Je comprends ce qu’il me dit, sans le voir ni l’entendre; mais c’est si bon d’être avec Lui ! » Lucie tirait de son livre de messe une image représentant un calice et une hostie, que Jacinthe baisait passionnément. « C’est “Jésus caché !“, disait-elle. Je l’aime tant !... Ah, si je pouvais le recevoir à l’église ! Si l’Ange était venu à l’hôpital m’apporter la communion, comme j’aurais été contente ! »

Une autre fois, Lucie lui présenta une image du Sacré Cœur de Jésus. Bien que Jacinthe n’eût pas trouvé que l’image ressemblât beaucoup à Notre Seigneur, « qui est si beau », disait-elle, elle la gardait toujours auprès d’elle, la mettait la nuit sous son oreiller et la baisait souvent. « Je baise son Cœur, disait-elle; c’est ce que j’aime le plus. Qui me donnera aussi un Cœur de Marie ?... Tu n’en as pas ? J’aimerais avoir les deux ensemble. »  

Le Cœur immaculé de Marie ! C’était la passion de Jacinthe ! « Il ne s’en faut plus beaucoup pour que j’aille au Ciel, confiait-elle à Lucie. Toi, tu resteras ici pour dire que Dieu veut établir dans le monde la dévotion au Cœur immaculé de Marie... Quand tu auras à le dire,  ne te cache pas !... Dis à tout le monde que Dieu nous accorde ses grâces par le moyen du Cœur immaculé de Marie ; qu’il faut les lui demander à Elle ; que le Cœur de Jésus veut qu’on vénère, à côté de lui, le Cœur immaculé de Marie. Que l’on demande la paix au Cœur immaculé de Marie, parce que Dieu la lui a confiée à Elle ! Ah! Si je pouvais mettre dans le cœur de tout le monde le feu que j’ai là dans la poitrine, qui me brûle et me fait tant aimer le Cœur de Jésus et le Cœur de Marie ! »     

Ce n’était pas tant l’ardeur de la fièvre, qui consumait Jacinthe ; c’était, plus encore, le feu de l’Amour divin, la soif de réparation... 

Vers la fin décembre, la Vierge apparut de nouveau à Jacinthe, pour l’avertir qu’elle viendrait bientôt la chercher pour l’emmener au Ciel, mais non pas chez elle. Ce serait dans un hôpital de Lisbonne. Lisbonne !... si loin !     

Dès qu’elle se trouva avec Lucie, elle lui annonça : « Notre Dame m’a dit que j’irais à Lisbonne, dans un autre hôpital ; que je ne te reverrais plus, ni mes parents ; qu’après avoir beaucoup souffert, je mourrais seule ; mais que je n’aie pas peur, car elle viendrait me chercher pour aller au Ciel.» Elle embrassait Lucie en pleurant : «Je ne te verrai jamais plus !... Tu ne viendras pas me voir là-bas. Ecoute, prie beaucoup pour moi qui vais mourir seule !» La pensée de mourir seule torturait son cœur. Un jour, Lucie la trouva, tenant une image de Notre Dame, qu’elle embrassait en disant : «O ma Maman du Ciel, alors il me faut mourir toute seule ?» C’était là une épreuve bien amère que lui imposait la Vierge et elle la suppliait presque d’écarter ce calice. Jésus lui-même, avant sa Passion, disait : « Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi ! »     

Lucie cherchait cependant à l’encourager : 

- Que t’importe de mourir seule, si Notre Dame vient te chercher ?

- C’est vrai, répondait-elle, ça ne fait rien ! Je sais que Notre Dame viendra me chercher !

- Courage donc, Jacinthe ! A toi, il ne t’en faut plus guère pour aller au Ciel... Mais à moi !... 

Jacinthe, à son tour, tout enthousiasmée maintenant par la pensée du Ciel, cherchait à la réconforter : « Pauvre Lucie ! Ne pleure pas !... Je prierai beaucoup, beaucoup, pour toi là-bas ! Tu va rester... Mais c’est Notre Dame qui le veut ! » 

Reprenant courage, Lucie demandait : 

- Oh, Jacinthe !... Et que vas-tu faire au Ciel ?

- Je vais aimer beaucoup Jésus, le Cœur immaculé de Marie, prier pour toi, pour les pécheurs, pour le Saint-Père, pour mes frères et sœurs et pour toutes les personnes qui m’ont demandé de prier pour elles... 

Jacinthe prononçait des paroles qui ne peuvent s’expliquer sans une sagesse infuse. Une enfant de 10 ans, sans aucune instruction, n’ayant que des connaissances religieuses élémentaires, ne pouvait certainement inventer des sentences comme celles-ci : 

- Les péchés qui conduisent le plus d’âmes en enfer, ce sont les péchés de la chair.     

- Maman, il ne faut jamais manger de viande le vendredi, ni nous en donner à nous autres... - J’ai tant de peine pour Notre Dame ! 

- Il viendra des modes qui offenseront beaucoup Notre Seigneur.     

- Les personnes qui servent Dieu ne doivent pas suivre la mode. L’Eglise n’a pas de modes. Notre Seigneur est toujours le même.     

- Si les hommes savaient ce qu’est l’éternité, ils feraient tout pour changer de vie. Les hommes se perdent, parce qu’ils ne pensent pas à la mort de Notre Seigneur et ne font pas pénitence.     

- Beaucoup de mariages ne sont pas bons ; ils ne plaisent pas à Notre Seigneur et ne sont pas de Dieu.     

- Les guerres ne sont que le châtiment des péchés du monde.     

- Notre Dame ne peut plus retenir le bras de son Fils bien-aimé sur le monde.     

- Il faut faire pénitence. Si les gens se corrigent, Notre Seigneur viendra encore secourir le monde; mais s’ils ne se corrigent pas, le châtiment viendra.     

- Priez beaucoup pour les pécheurs ! Priez beaucoup pour les prêtres ! Priez beaucoup pour les religieux !  La Mère de Dieu voudrait qu’il y ait plus de vierges qui s’attachent à elle par le vœu de chasteté.

- Les prêtres devraient s’occuper seulement des choses de l’Eglise.     

- Les prêtres doivent être purs, très purs.     

- La désobéissance des prêtres et des religieux à leurs supérieurs et au Saint-Père offense beaucoup Notre Seigneur.     

- Priez beaucoup pour les gouvernements !     

- Malheur à ceux qui persécutent la religion de Notre Seigneur !     

- Si le gouvernement laissait en paix l’Eglise et s’il donnait la liberté à la sainte religion, il serait béni de Dieu. N’allez pas au milieu du luxe ! Fuyez les richesses ! - Ayez beaucoup de charité, même avec ceux qui sont mauvais.    

- Soyez amis de la pauvreté et du silence.     

- Ne dites du mal de personne et fuyez ceux qui en disent. 

- Ayez beaucoup de patience, parce que la patience nous conduit au Ciel.     

- La confession est un sacrement de miséricorde. Aussi faut-il s’approcher du confessionnal avec confiance et joie. Sans confession il n’y a pas de salut.     

- J’aimerais bien, moi, aller au couvent ; mais j’aime encore mieux aller au Ciel.     

- Etre pur de corps, c’est garder la chasteté; être pur d’âme, c’est ne pas faire de péchés : ne pas regarder ce qu’il ne faut pas voir, ne pas voler, ne jamais mentir, dire toujours la vérité, même si cela coûte.     

- Ceux qui n’accomplissent pas les promesses faites à Notre Dame ne seront jamais heureux dans leur vie.     

- Si les médecins n’ont pas de lumière pour la guérison des malades, c’est parce qu’ils n’ont pas d’amour de Dieu.     

- C’est Notre Dame qui m’a appris toutes ces choses dans le fond de mon cœur... 

La très Sainte Vierge ne se contentait pas d’inspirer à Jacinthe ces profondes pensées. Quelquefois elle lui découvrait l’avenir, (comme la guerre civile qui menaçait le Portugal).     

- Notre Seigneur aimerait beaucoup que mes sœurs se fassent religieuses, mais maman ne veut pas. Pour cela, Notre Dame ne tardera pas à les emmener au Ciel. C’est ce qui arriva ! Peu de temps après la mort de Jacinthe, ses deux sœurs, Florinda et Teresa, moururent, I’une à 17 ans, I’autre à 16 ans.

Dans une autre occasion, un des deux médecins qui la soignaient lui demanda de prier pour lui lorsqu’elle serait au Ciel. La petite lui répondit qu’elle le ferait ; mais, aussitôt après, le fixant de son regard qui paraissait découvrir l’avenir, elle ajouta : « Ecoutez, vous irez bientôt là-haut, vous aussi ; cela ne tardera pas ! » 

Une scène analogue eut lieu avec un autre médecin, à qui elle prédit aussi sa mort prochaine et celle de sa fille.     

Au sujet d’un prêtre, dont elle avait entendu un beau sermon et qui était, jusqu’alors, considéré comme un homme exemplaire, la petite exprimait avec décision un jugement défavorable : «Quand on y pensera le moins, vous verrez comme ce prêtre est mauvais !» Jacinthe avait raison. Peu après, le malheureux abandonna complètement ses devoirs de prêtre et se mit à vivre d’une manière ouvertement scandaleuse.     

A propos de l’opération qu’on voulait lui faire et qui eut lieu en effet, Jacinthe faisait remarquer : « Tout cela est inutile. Notre Dame est venue me dire que j’allais mourir bientôt. » La Vierge lui est apparue et lui a fait savoir le jour et l’heure de sa mort. 

A son admission à l’hôpital de Dona Estefânia le 2 février 1920, les médecins et les infirmières, voyant son état, blâmèrent sévèrement Mère Godinho, qui avait accepté d’accueillir avec charité, dans son orphelinat Notre-Dame des Miracles, la pauvre petite bergère d’Aljustrel, enfant tuberculeuse, qui pouvait être un danger pour les autres. Le milieu où se trouvait maintenant Jacinthe était si froid, si désolant !... Jacinthe se sentit abandonnée... Ici, il n’y avait plus personne avec qui elle pouvait parler librement de ses « choses à elle. »   

Ce qui la faisait souffrir davantage, cependant, c’était de voir des infirmières ou des personnes qui venaient voir les malades, traverser la salle vêtues d’une manière peu modeste. « Pourquoi donc tout cela ?, disait-elle, en désignant certaines parures et certains décolletés. Si l’on savait ce que c’est que l’éternité !... » Et, parlant de certains médecins qu’elle considérait comme des incroyants, elle les plaignait en disant : « Les malheureux ! Ils ne savent pas ce qui les attend ! »     

Le 10 février, Jacinthe fut opérée. Elle eut beaucoup à souffrir, car on ne pouvait la chloroformer, à cause de son extrême faiblesse et on dut se contenter d’une anesthésie locale, très imparfaite à cette époque. Toutefois, elle souffrit encore davantage l’humiliation de se voir entièrement dévêtue. 

Le résultat de l’opération parut d’abord encourageant. On lui avait retiré deux côtes du côté gauche ; la plaie était large comme la main. Personne ne l’entendait se plaindre. Elle disait à Jésus, dans son héroïsme tranquille : « Maintenant vous pouvez convertir beaucoup de pécheurs, parce que je souffre beaucoup ! »     

La Vierge n’oubliait pas la petite martyre. Elle vint encore plus d’une fois auprès de son lit de souffrance. Quatre jours avant de venir la chercher pour l’emmener au Ciel, Notre Dame fit cesser toutes ses douleurs. 

«En vérité, a dit le Dr Lisboa, à la suite de cette apparition en pleine salle d’hôpital, toutes ses souffrances disparurent.» Peu avant sa mort, quelqu’un lui demanda si elle désirait voir sa mère. « Ma famille, répondit la petite, durera peu de temps et bientôt nous nous retrouverons tous au Ciel... »

La mort de Jacinthe

Enfin arriva le 20 février 1920, jour où Notre Dame devait venir chercher sa petite voyante, Jacinthe dit qu’elle se sentait mal et qu’elle désirait recevoir les derniers sacrements. On appela le curé de la paroisse des Anges, qui l’entendit en confession vers 8 heures du soir. Jacinthe a insisté pour qu’on lui apportât le viatique. Mais le prêtre, la voyant bien, ne voulut pas le faire et lui promit seulement de lui apporter Notre Seigneur le jour suivant. De nouveau, la petite insista pour recevoir la communion, disant qu’elle allait bientôt mourir. De fait, vers 10h30  du soir, elle s’éteignait tranquillement, mais sans avoir pu communier. 

A la nouvelle de sa mort, spontanément, il se fit parmi les habitants de Lisbonne, dévots à Fatima, une souscription pour lui faire une sépulture honorable dans un cimetière de la capitale.

Ce fut un défilé incessant de fidèles venant voir le petit cercueil. Il fallut même le laisser ouvert, car chacun voulait revoir la petite Jacinthe, lui faire toucher des objets de piét­é... 

Le préposé des pompes funèbres fut étonné de n'avoir jamais à intervenir. Il écrivit plus tard ses impressions : « Couchée dans son petit cercueil, I'enfant paraissait vivante. Avec ses lèvres et ses joues roses, elle était très belle. Quand les gens arrivaient devant la bière, c'était un enthousiasme, une admiration, un délire. J'ai vu beaucoup de morts ; mais il se passait là quelque chose que je n'ai jamais constaté ailleurs. Le corps exhalait un parfum suave ; cela ne peut s'expliquer naturellement. La petite était morte depuis trois jours et demi et son parfum était comme celui d'un bouquet composé des fleurs les plus variées. »